Séminaire IV sur LA RELATION D OBJET ET LES STRUCTURES FREUDIENNES
1 ère partie : THEORIE DU MANQUE D OBJET
1. introduction
2. les trois formes du manque d'objet
3. le signifiant et le saint-esprit
4. la dialectique de la frustration
5. de l'analyse comme bundling et ses conséquences.
2 ème partie : LES VOIES PERVERSES DU DESIR
6. Le primat du phallus et la jeune homosexuelle
1 ère partie : THEORIE DU MANQUE D OBJET
1. introduction
2. les trois formes du manque d'objet
3. le signifiant et le saint-esprit
4. la dialectique de la frustration
5. de l'analyse comme bundling et ses conséquences.
2 ème partie : LES VOIES PERVERSES DU DESIR
6. Le primat du phallus et la jeune homosexuelle
Le problème de la "perversion", entre guillemets, que nous abordons aujourd'hui, est le plus problé-
matique qui soit en analyse : l'homosexualité féminine. Je l'aborde maintenant parce qu'évoquer la
relation d'objet implique de parler de l'objet féminin. Pour l'analyse le sujet de cette rencontre
n'est pas naturel. Nous avons vu que le sujet féminin est appelé, quand l'homme le rencontre,
à s'inscrire dans une sorte de retrouvaille, qui le place d'emblée dans une ambiguïté des
rapports naturels et symboliques. La dimension analytique réside dans cette ambiguïté.
Le problème maintenant est : qu'est-ce que l'objet féminin en pense ? quel est son chemin
depuis ses 1 ères approches de l'objet naturel et primordial du désir, le sein maternel ?
C'est un chemin, une dialectique encore moins naturelle que pour l'objet masculin.
Si j'appelle la femme, aujourd'hui, objet, c'est qu'elle doit à un moment y entrer comme objet.
Position fort peu naturelle, au second degré, ainsi qualifiée parce que c'est un sujet qui la prend.
L'homosexualité féminine a valeur exemplaire dans l'analyse par ce qu'elle révèle des
étapes du cheminement de la femme et des arrêts qui peuvent marquer son destin. Ce qui est
naturel/biologique ne cesse de se reporter sur le plan symbolique, dans une chaîne symbolique
où est pris le sujet. En cela il s'agit de la femme comme sujet, qui a à faire un choix qui, par
quelque côté que ce soit doit être un compromis entre ce qui est à atteindre et ce qui n'a
pu être atteint. C'est ce que ns apprend l'expérience analytique. L'homosexualité féminine se
rencontre à chaque étape que la femme franchit pour accomplir son achèvement symbolique.
Sur ce point l'interrogation de Freud commence en 1923 (L'organisation génitale infantile).
Ds ce texte Freud pose le principe du primat de l'assomption phallique. La phase phallique
comme 1er temps de la sexualité infantile, qui s'achèvera dans la période de latence. Phase typique
pour le garçon et pour la fille. L'organisation génitale en donne la formule. Elle est atteinte pour les
deux sexes, et l'élément primordial en est la possession ou la non possession du phallus.
Il n'y a pas réalisation du mâle, réalisation de la femelle, ms ce qui est pourvu de l'attribut phallique
et ce qui en est dépourvu, et en être dépourvu est considéré comme équivalent à être châtré.
Pour les 2 sexes c'est fondé sur une Misslingen, maldonne fondée sur une ignorance
(ignorance c'est différent de méconnaissance), ignorance et du rôle fécondant de la semence
masculine et de l'existence comme de l'organe féminin.
Affirmations énormes, qui demandent une exégèse pour être comprises :
il ne s'agit pas d'une description à prendre au niveau de l'expérience réelle.
L'objection est soulevée dans la plus grande confusion. Un très grand nombre de faits conduisent
à admettre que se révèle effectivement, au moins chez la fille, la présence vécue, sinon du rôle réel
du mâle dans la procréation, du moins l'existence de l'organe féminin. Qu'il y ait ds l'expérience
précoce de la petite fille quelque chose qui corresponde à la localisation vaginale, qu'il y ait des
émotions, voire même une masturbation vaginale précoce, ne peut être contesté. Cela est réalisé,
au moins dans un certains nombre de cas. De là, on discute pour savoir si c'est à l'existence du
clitoris que doit être attribuée la prédominance de la phase phallique chez la fille, ou si la libido
(ds ce cas synonyme d'expérience érogène) est à l'origine concentrée sur le clitoris pour ensuite
diffuser à la suite d'un long déplacement qui nécessite tout un détour.
Sauf que ce ce n'est pas dans ces termes que doit être comprise l'affirmation de Freud.
Sinon trop de faits, d'ailleurs confus, entraînent toutes sortes d'objections. K. Horney par exemple,
à partir de prémisses réalistes comme quoi la méconnaissance suppose ds l'inconscient 1 certaine
certaine connaissance de la coaptation des 2 sexes, dit qu'il ne peut y avoir chez la fille prévalence
de l'organe qui ne lui appartient pas, que sur fond de dénégation de l'existence du vagin, et tente
à partir de là une genèse du terme phallique chez la fille. Mais elle ne fait que reconstruire sur des
prémisses théoriques qui mécomprennent l'affirmation de freud. Et le fait d'une d'une primordiale
expérience de l'organe vaginal est incertaine, prudente, voir même réservée.
L'affirmation de Freud est fondée sur son expérience. Il l'avance avec prudence, et
avec la part d'incertitude si caractéristique de sa présentation de ses découvertes,
mais il l'avance, et comme primordiale. Un point fixe : l'affirmation paradoxale du phallicisme
comme pivot autour duquel l'interprétation théorique doit se développer. Huit ans plus tard
(1931) il prolonge l'affirmation par quelque chose de plus énorme encore.
Entre temps la discussion est très active entre ses élèves : un véritable maquis d'approximations et
de spéculation, un débat profondément immaîtrisé sur les catégories mises en jeu. En rendre
compte est corrélatif de notre travail de cette année : montrer, parallèlement à l'examen théorique
de la relation d'objet, comment la pratique analytique peut s'engager dans la déviation.
Une image donne une idée de cet amas de faits : les auteurs admettent que la petite fille entrant dans
l'Oedipe se met à désirer un enfant du père comme substitut du phallus manquant, et que c'est la
déception qui jouera le rôle essentiel pour la faire revenir de ce chemin paradoxal par quoi elle
est entrée dans l'oedipe ( identification au père), vers une reprise de la position féminine.
Ils montrent l'incidence de la privation de l'enfant désiré du père, et la précipitation du mouvement
de l'Oedipe (présenté comme essentiellement inconscient) avec le cas d'une petite fille qui, d'après
eux, a mieux que d'autres fait la lumière sur ce qui se passait dans son inconscient. Suite à une
"explication", elle se levait chaque matin en demandant si l'enfant du père était arrivé, si c'était
pour aujourd'hui ou pour demain, avec pleurs et colère. Et bien ceci est exemplaire d'une déviation
de la pratique, de comment cette conception de la frustration mène à intervenir dans la réalité
avec des effets douteux, et à l'opposé du processus d'interprétation analytique.
Cet ""enfant du père"" qui apparaît à un moment donné comme objet imaginaire, substitut du
phallus manquant qui joue un rôle exemplaire dans l'évolution, ne peut être mis en jeu n'importe
quand n'importe comment. L'enfant doit être apte aux résonances symboliques, celles déjà
expérimentées dans les réactions possessives ou destructrices de la crise phallique, de la problé-
matique phallique à cette étape. Tout ce qui se rapporte à la prédominance du phallus à x étape de
l'évolution n'a d'effet qu'après coup. Le phallus ne peut être mis en jeu que pour symboliser tel
évènement à tel moment : venue d'un enfant, maternité, possession d'un enfant ... Précipiter par
la parole un élément qui ne peut s'inscrire dans la structuration symbolique du sujet, précipiter
dans le plan symbolique, un rapport de substitution imaginaire à ce qui est vécu de façon tout à fait
différente, c'est le légitimer : c'est installer la frustration au centre de l'expérience.
La frustration ne peut être introduite en tant que telle dans l'interprétation que si elle
s'est déjà passée, comme moment évanouissant, au niveau de l'inconscient.
Et pour nous, analystes, elle n'a de fonction que sur un plan purement théorique,
comme articulation de ce qui s'est passé.
Parce qu'elle est extraordinairement instable, sa réalisation par le sujet est par définition exclue.
La frustration telle qu'elle est vécue à l'origine n'a d'importance qu'en tant qu'elle
débouche sur castration ou privation :
La castration instaure dans son ordre la nécessité de la frustration, la transcende et l'instaure
dans une loi qui lui donne sa valeur. De même elle consacre l'existence de la privation, idée
inconcevable sur le plan réel pour quelqu'un passé au plan symbolique. On voit cela dans les
psychothérapies de soutien, par exemple avec la petite fille qui présentait une ébauche de phobie
après son expérience d'avoir été effectivement privée de quelque chose (dans d'autres conditions
que la petite fille de ce matin) : sa phobie était un déplacement nécessaire, dont le ressort = non
le fait de ne pas avoir le phallus, mais dans le fait que sa mère ne pouvait pas le lui donner,
mais qu'elle ne pouvait le lui donner parce qu'elle ne l'avait pas elle-même.
L'intervention de la psychothérapeute consiste à dire à l'enfant -et elle a parfaitement raison- que
toutes les filles sont comme ça, sans que ce soit une réduction au réel car l'enfant sait très bien
qu'elle n'a pas le phallus, mais pas que c'est la règle. Voilà ce que lui apprend la thérapeute,
qui fait passer le manque sur le plan symbolique qui est celui de la loi. Pourtant l'intervention
est discutable, son efficacité momentanée, puisque la phobie repart de plus belle.
Elle ne se réduira que lorsque l'enfant aura été ré-introduite dans une famille complète.
Pourquoi ?
Alors que sa frustration devrait lui paraître encore plus grande du fait que des mâles (beau-père
et grand frère) entrent dans le jeu de la famille, alors que sa mère était seule, la phobie se trouve
bel et bien réduite : c'est que le sujet n'en a plus besoin pour suppléer l'absence, dans le circuit
symbolique, de tout élément phallophore, des mâles. Le terme de frustration est d'une certaine
façon légitimé du fait qu'il s'agit de manque d'objet plus que de l'objet lui-même, qu'il s'agit
de l'instabilité de la dialectique de la frustration elle-même.
La frustration porte sur quelque chose dont vous êtes privé par quelqu'un dont vous
attendiez qu'il vous donne ce que vous lui aviez demandé. L'objet de la frustration, c'est
le don, c'est l'amour de qui peut vous faire ce don, plus que l'objet attendu. C'est l'origine de
la dialectique de la frustration, encore à l'écart du symbolique.
Le don, ce qui vient de l'autre, est apporté au départ dans une certaine gratuité. Toute la chaîne
qui le cause est encore derrière, inaperçue. Plus tard le sujet s'apercevra qu'il s'agit de quelque
chose de bien plus complet que la confrontation à l'autre, que le don qui surgit, que cela intéresse
toute la chaîne symbolique humaine.
Le don en tant que don fait s'évanouir l'objet en tant qu'objet : il passe au 2nd plan si la demande
est exaucée, et aussi quand la demande n'est pas exaucée, mais alors il change de signification.
C'est ce qui justifie le mot frustration : il a frustration si le sujet entre dans la revendication d'un
objet exigible en droit, dans l'aire narcissique de ses appartenances.
Dans les 2 cas ce moment évanouissant débouche sur quelque chose, nous projette sur un
autre plan que le simple désir : l'expérience humaine connait bien ce quelque chose qui fait que
la demande n'est jamais complètement, véritablement exaucée. Exaucée ou non, à l'étape
suivante elle s'anéantit et aussitôt se projette sur autre chose :
- soit sur l'articulation de la chaîne symbolique des dons ...............................................................
- soit sur le registre fermé absolument inextinguible qui s'appelle le narcissisme, grâce à quoi l'objet
est pour le sujet quelque chose qui est lui et qui à la fois n'est pas lui, de ce fait jamais satisfaisant
L'entrée de la frustration dans une dialectique qui la légalise, la situe, et lui donne aussi une
dimension de gratuité = condition nécessaire à l'établissement de l'ordre symbolisé du réel
où le sujet saura par exemple instaurer comme existantes, admises, des privations permanentes.
A méconnaître cette condition, les reconstructions de l'expérience, des effets liés au manque
d'objet qui s'y manifestent, amènent à des impasses. Vouloir tout déduire du désir (et ses effets
de satisfactions, déceptions) considéré comme élément pur de l'individu est une erreur.
Toute la chaîne de l'expérience ne peut littéralement se concevoir qu'à d'abord poser que
rien ne s'y articule, s'y échafaude, rien ne s'instaure comme conflit analysable, si ce n'est
à partir du moment où le sujet entre dans un ordre de symboles, ordre légal, symbolique,
chaîne symbolique, ordre de la dette symbolique. C'est uniquement à partir de l'entrée du sujet dans
cet ordre qui lui préexiste (à lui et à tout ce qui lui arrive :déceptions, satisfactions) que tout ce
par quoi il aborde son expérience, son vécu, s'ordonne, prend son sens, et peut être analysé.
C'est dans les textes de Freud qu'on peut le mieux apprécier le bien-fondé de ce rappel.
Certains avancent leur côté incertain, ou paradoxalement sauvage, ou de diplomatie (?). Pour ma
part je choisis un des plus brillants, et des plus troublants, qui peut apparaître comme démodé :
Psychogenèse d'un cas d'homosexualité féminine. Une bonne famille du Vienne de 1920
envoyer sa fille (18 ans, belle, intelligente) chez Freud, c'est franchir un grand pas, à quoi on se
résout parce qu'elle est devenue un objet de souci : elle court après une dame du (1/2 ?) monde
de 10 ans son aînée. Un attachement passionnel qui la met dans des rapports pénibles avec sa
famille, et en particulier cela rend le père enragé, cet espèce de défi tranquille dans les assiduités
auprès de la dame, et comment la chose est affichée. On apprend que la mère, qui fut névrosée,
ne prend pas cela tellement au sérieux. On vient demander à Freud d'arranger cela. Il révèle
pertinemment les difficultés d'un traitement pour satisfaire aux exigences de l'entourage,
et qu'on ne fait pas une analyse sur commande comme on reconstruit une villa. Il introduit des
considérations sur l'analyse qui peuvent paraître dépassées, mais sont extraordinaires.
Il précise que l'analyse n'est pas allée à son terme, ne lui a pas permis de changer grand'chose au
destin de la jeune fille, mais il nous en fait part parce qu'elle lui a permis de voir très très loin. Pour
l'expliquer il introduit une idée qui n'est pas sans fondement même si elle paraît désuète, une idée
schématique qui incite à revenir sur certaines données 1 ères. 1. il y a 2 étapes ds l'analyse
la première : ramasser tout ce qu'on peut savoir, la seconde : faire fléchir les résistances
qui tiennent encore, alors que le sujet sait déjà beaucoup de choses. Il fait cette comparaison
stupéfiante qu'avant un voyage on rassemble les bagages, toujours assez compliqué, puis il faut
s'embarquer et parcourir le chemin. Piquante référence pour qui a la phobie des chemins de fer.
Et le plus énorme : pendant ce temps-là on a le sentiment qu'effectivement rien n'opère.
Par contre il voit très bien ce qui s'est passé, et peut mettre en relief un certain nombre d'étapes.
Un moment dans l'enfance du sujet semble ne pas s'être passé tout seul, quand elle a appréhendé
la différence qui faisait d'elle quelqu'un n'ayant pas l'objet par essence désirable, l'objet phallique.
Aucun symptôme hystérique n'est apporté dans l'analyse, rien dans l'enfance ne semble notable
quant aux conséquences pathologiques. C'est pourquoi il est cliniquement frappant de voir éclore
aussi tardivement une attitude qui paraît à tous anormale : sa position à l'égard d'une femme décriée,
et un éclat, à la suite de quoi elle est amenée chez Freud.
La jeune fille, dans un doux flirt avec le danger, allait se promener avec la dame presque sous les
fenêtres de sa maison. Son père les voit, et comme il y a d'autres personnes, il leur jette un regard
flambant. La dame prend fort mal d'apprendre que c'est le père : elle avait eu jusque-là une attitude
plutôt froide, n'avait pas du tout encouragé les assiduités. Aussi elle dit Dans ces conditions on ne
se revoit plus. Elles sont à ce moment pas loin d'un petit pont qui enjambe le chemin de fer,
et voilà la fille qui se jette en bas, et choit (niederkommt). Elle se rompt un peu les os ms s'en tire.
Donc nous dit Freud la jeune fille qui avait eu jusque-là un développement qui s'orientait vers
la vocation féminine et la maternité, se met subitement à fréquenter des femmes mûres, sortes de
substitut maternel. Schéma qui ne vaut pas pour celle qui incarne l'aventure dramatique autour de
laquelle tourne l'analyse, ni la problématique homosexuelle : car la jeune fille déclare à Freud qu'elle
n'abandonnera pas ce choix objectal, ni le lien avec la personne dont elle n'a pas perdu le goût, et
qui se trouve émue par cette marque de dévotion.
Freud rapporte des remarques frappantes à quoi il donne valeur de sanction explicative pour ce
qui s'est passé avant, et pour ce qu'il appelle son échec. C'est le propre des observations de
Freud : nous laisser toujours beaucoup de clartés extraordinaires, même sur les points
qui l'ont en quelque sorte lui-même dépassé. Je pense au cas Dora, où il n'a vu clair qu'ulté-
rieurement sur l'orientation de sa question vers son propre sexe. Il y a ici une méconnaissance
analogue et plus profonde, et beaucoup plus instructive.
Il livre des remarques intéressantes dont il ne tire pas parti sur ce dont il s'agit dans cette tentative
de suicide, acte significatif où se couronne la crise, et à ce qui est intimement lié à la montée de la
tension jusqu'au moment ou éclate le conflit et arrive la catastrophe. Freud explique cela à
partir de l'orientation normale du sujet vers le désir d'avoir un enfant du père.
Que dans ce registre gît la crise originaire qui a fait s'engager le sujet dans un sens opposé,
véritable renversement de la position subjective du à la déception causée par l'objet du désir.
Le sujet s'identifie à cet objet, par régression narcissique. Je fais de la dialectique narcissique
le rapport essentiel moi-petit/autre parce que c'est implicite ds Freud.
Quelle est cette déception qui opère le renversement ? Vers 15 ans elle est engagée vers une
prise de possession de l'enfant imaginaire, s'occupe beaucoup d'enfants .. sa mère a réellement
un autre enfant du père, et elle un troisième frère. C'est le point-clé qui donne à cette observation
son caractère exceptionnel : il est rare que l'intervention d'un petit frère cause un retournement
si profond de l'orientation sexuelle d'un sujet, mais c'est là que la jeune fille change de position.
Où cela peut-il le mieux s'interpréter ?
Pour Freud ce changement est réactionnel et vient du ressentiment à l'égard du père, et c'est cette
"cheville" de la situation qui explique comment est menée cette aventure. La fille est très nettement
agressive envers le père, la tentative de suicide a lieu suite à la déception que l'objet homologue
de son attachement lui cause. Contre-agressivité ? retournement sur elle-même de l'agression
contre le père combiné à l'effondrement de toute la situation, et qui satisfait ainsi symboliquement
ce dont il s'agit par une précipitation au niveau des objets en jeu ? Est-ce que choir en bas du petit
pont est un acte symbolique à rapprocher du niederkommen ("mise bas" d'un enfant) ? Qu'ainsi
nous sommes ramenés au sens dernier et originaire de la structure de la situation ?
Deuxième ordre de remarques de Freud pour expliquer que la situation était sans issue dans le
traitement lui-même, que la résistance n'a pas été vaincue. Ce qu'il dit à la patiente l'intéresse
énormément sans qu'elle abandonne ses positions, maintenant tout cela au plan d'un intérêt
intellectuel. Il compare métaphoriquement ses réactions à celle de la dame qui dit, à travers
son lorgnon, au sujet d'objet divers : Comme c'est joli ! Il signale qu'il n'y a pas absence de
transfert, qu'il reconnaît avec justesse dans les rêves de la patiente concomitants à ses
déclarations non ambiguës sur sa détermination à ne pas changer de comportement. Ces rêves
annoncent un étonnant refleurissement de l'attente de quelque beau et satisfaisant époux et de
l'avènement d'un objet fruit de cet amour. Le caractère idyllique et presque forcé de l'époux
annoncé par le rêve paraît si conforme aux efforts entrepris en commun, qu'un autre que Freud
en aurait pris les plus plus grands espoirs. Lui ne s'y trompe pas en y voyant un transfert,
un double de l'espèce de jeu de contre-leurre mené avec son père qui l'a déçue, et avec qui
elle n'a pas été qu'agressive et provocante, elle lui a fait des concessions.
Il s'agissait de lui montrer qu'elle le trompait. Freud reconnaît l'analogie avec les rêves, et
leur signification transférentielle : reproduire avec lui sa position fondamentale, le jeu cruel mené
avec le père. On ne peut ici qu'entrer dans la relativité foncière de la formation symbolique,
qui est la ligne fondamentale de ce qui constitue pour nous le champ de l'inconscient.
Freud l'exprime en nous disant je crois que l'intention de m'induire était un des éléments
formateurs du rêve, ainsi qu'un tentative de gagner ma bonne disposition, probablement
pour me désillusionner d'autant plus.
Une intention est prêtée au sujet, de le captiver, lui, pour le faire choir, d'autant plus haut
qu'il serait davantage pris dans la situation. On peut y voir une action contre-transférentielle.
Freud retient que le rêve est trompeur et livre une réflexion passionnante sur les objections de
ses disciples (si la manifestation de l'inconscient est trompeuse, si l'inconscient nous ment, à quoi
nous fier ?). Dans une longue explication il montre comment cela peut arriver sans pour autant
contredire la théorie. C'est un peu tendancieux, mais c'est ce qu'il valorise en 1920, à savoir :
l'essentiel de ce qui est dans l'inconscient est le rapport du sujet à l'Autre.
Ce rapport implique à sa base la possibilité d'être accompli au niveau du mensonge.
==> dans l'analyse, nous sommes dans l'ordre du mensonge et de la vérité.
Pourtant il échappe à Freud qu'il s'agit d'un vrai transfert, qui ouvre la voie à interprétation
du désir de tromper. Disons le grossièrement : il prend la chose comme dirigée contre lui.
"tentative de m'embobiner, me captiver, faire que je la trouve très jolie. Très instructif : elle
doit être ravissante pour que comme avec Dora il ne soit pas complètement libre. Penser que le
pire lui est promis évite de se sentir désillusionné et montre qu'il est prêt à se faire des illusions.
Il se met en garde parce qu'il est entré dans le jeu imaginaire, le fait devenir réel. Du coup
il interprète en disant à la jeune fille qu'elle veut le tromper lui comme elle trompe son père, et
cela coupe court à ce qu'il a réalisé comme le rapport imaginaire. Son contre-transfert aurait pu
lui servir à condition que ce n'en fut pas un, c.a.d s'il n'y avait pas cru lui-même. Mais
y étant il interprète trop précocement : à ce qui n'était qu'un désir et non une intention
de le tromper (*) il donne corps, il le fait rentrer dans le réel. Comme l'a fait la thérapeute qui
intervenait avec la petite fille qui attendait chaque matin qu'arrive l'enfant du père.
C'est cela qui est au coeur du glissement de l'analyse dans l'imaginaire : ce piège,
(aujourd'hui cette plaie) Freud nous en livre là, dans le texte, un exemple-limite, transparent,
montrant comment l'interprétation donne corps au conflit alors qu'il s'agit de tout autre chose :
de révéler le discours menteur qui était là dans l'inconscient. Après avoir posé que c'est contre
sa personne, il ne peut poursuivre le traitement.
Il soulève autre chose, très intéressant : la nature de la passion de la jeune fille pour la
dame, qui n'est pas une relation homosexuelle comme les autres (quoique que celles-ci
présentent toutes la variété des relations hétérosexuelles communes, et d'autres en plus. Freud
articule avec un relief extraordinaire ce choix objectal du type männliche, amour platonique
si exalté, qu'il ne demande comme satisfaction que le service de la dame : l'amour sacré,
l'amour courtois en ce qu'il est une extrême dévotion. Et Schwärmerei, qui a un sens particulier
dans la culture allemande : l'exaltation au fond de la relation, d'un rapport au plus haut degré
de la relation amoureuse symbolisée. Loin de toute attitude subie ou d'un besoin, un amour qui
non seulement se passe de satisfaction, mais vise très précisément la non-satisfaction dans
quoi s'épanouit l'amour idéal : l'institution du manque dans la relation à l'objet.
La situation que présente ce cas est exceptionnelle :
il faut la prendre dans son registre propre, et aussi dans son exceptionnelle particularité, qui est
qu'elle s'éclaire de la mise en fonction des 3 catégories du manque d'objet : 3 étages
d'un processus allant de la frustration au symptôme, l'énigme que nous interrogeons,
et qu'on voit se conjoindre en une sorte de noeud.
D'abord on voit la référence,
innocemment vécue, à l'objet imaginaire, cet enfant que l'interprétation laisse voir comme enfant
reçu du père. Les homosexuelles en effet, contrairement à ce qu'on pourrait croire, mais comme
l'analyse l'a fait voir, sont des sujets qui ont fait à un moment une très forte fixation paternelle.
Si ensuite il y a une vraie crise,
c'est qu'intervient alors l'objet réel : un enfant est justement donné par le père, à la mère, à la
personne qui lui est la plus proche. C'est alors que se produit un véritable renversement, dont on
nous explique le mécanisme. Mais ce qui est important au plus haut point, c'est de remarquer que
ce dont il s'agit était existait déjà au plan symbolique : c'est au plan symbolique que le sujet
se satisfait de cet enfant comme d'un enfant donné par le père. Et non plus imaginaire.
C'est cela qui la soutenait dans le rapport entre femmes, le fait que pour elle était déjà instituée
la présence paternelle comme telle, le père par excellence, le père fondamental, celui que sera
toujours pour elle toute espèce d'homme qui lui donnera un enfant.
La présence de l'enfant réel, le fait que l'objet réel est là, pour un instant, réel, matérialisé
par le fait que c'est sa mère qui l'a, ramène la jeune fille au plan de la frustration.
Quel est le plus important de ce qui se passe alors ?
Un retournement qui la fait s'identifier au père ? Qu'elle même devienne cet enfant latent qui pourra
niederkommen au bout de la crise ? Nous ignorons le nombre de mois, à la différence de Dora.
Le plus important, c'est ce qui est désiré au-delà de la femme aimée : L'amour que lui voue
la jeune fille vise quelque chose qui est autre chose qu'elle, son amour vit dans le dévouement
pur et simple et porte à un degré extrême attachement et anéantissement du sujet. Freud évoque
ce Sexualüberschätzing à propos de l'expérience masculine, pas sans raison. Un amour qui
s'épanouit dans une relation culturelle très élaborée, institutionnalisée. La déception fondamentale,
le passage au plan de l'amour courtois, l'issue que trouve le sujet dans ce registre amoureux,
posent la question de ce qui, dans la femme, peut être aimé au-delà d'elle, mettant en cause
ce qui est fondamental dans tout ce qui se rapporte à l'amour et à son achèvement.
Ce qui est à proprement parler désiré chez la femme aimée, c'est ce qui lui manque.
Ce qui lui manque dans cette occasion c'est précisément cet objet primordial dont le sujet
allait trouver l'équivalent dans l'enfant, le substitut imaginaire, auquel il fait retour.
Dans l'amour le plus idéalisé, l'extrême de l'amour, ce qui est recherché c'est ce qui
lui manque, qui est cherché au-delà d'elle : c'est l'objet central de toute l'économie libidinale,
c'est le phallus.
La suite ici :
7. "On bat un enfant" et La jeune homosexuelle.
L'homosexualité féminine a valeur exemplaire dans l'analyse par ce qu'elle révèle des
étapes du cheminement de la femme et des arrêts qui peuvent marquer son destin. Ce qui est
naturel/biologique ne cesse de se reporter sur le plan symbolique, dans une chaîne symbolique
où est pris le sujet. En cela il s'agit de la femme comme sujet, qui a à faire un choix qui, par
quelque côté que ce soit doit être un compromis entre ce qui est à atteindre et ce qui n'a
pu être atteint. C'est ce que ns apprend l'expérience analytique. L'homosexualité féminine se
rencontre à chaque étape que la femme franchit pour accomplir son achèvement symbolique.
Sur ce point l'interrogation de Freud commence en 1923 (L'organisation génitale infantile).
Ds ce texte Freud pose le principe du primat de l'assomption phallique. La phase phallique
comme 1er temps de la sexualité infantile, qui s'achèvera dans la période de latence. Phase typique
pour le garçon et pour la fille. L'organisation génitale en donne la formule. Elle est atteinte pour les
deux sexes, et l'élément primordial en est la possession ou la non possession du phallus.
Il n'y a pas réalisation du mâle, réalisation de la femelle, ms ce qui est pourvu de l'attribut phallique
et ce qui en est dépourvu, et en être dépourvu est considéré comme équivalent à être châtré.
Pour les 2 sexes c'est fondé sur une Misslingen, maldonne fondée sur une ignorance
(ignorance c'est différent de méconnaissance), ignorance et du rôle fécondant de la semence
masculine et de l'existence comme de l'organe féminin.
Affirmations énormes, qui demandent une exégèse pour être comprises :
il ne s'agit pas d'une description à prendre au niveau de l'expérience réelle.
L'objection est soulevée dans la plus grande confusion. Un très grand nombre de faits conduisent
à admettre que se révèle effectivement, au moins chez la fille, la présence vécue, sinon du rôle réel
du mâle dans la procréation, du moins l'existence de l'organe féminin. Qu'il y ait ds l'expérience
précoce de la petite fille quelque chose qui corresponde à la localisation vaginale, qu'il y ait des
émotions, voire même une masturbation vaginale précoce, ne peut être contesté. Cela est réalisé,
au moins dans un certains nombre de cas. De là, on discute pour savoir si c'est à l'existence du
clitoris que doit être attribuée la prédominance de la phase phallique chez la fille, ou si la libido
(ds ce cas synonyme d'expérience érogène) est à l'origine concentrée sur le clitoris pour ensuite
diffuser à la suite d'un long déplacement qui nécessite tout un détour.
Sauf que ce ce n'est pas dans ces termes que doit être comprise l'affirmation de Freud.
Sinon trop de faits, d'ailleurs confus, entraînent toutes sortes d'objections. K. Horney par exemple,
à partir de prémisses réalistes comme quoi la méconnaissance suppose ds l'inconscient 1 certaine
certaine connaissance de la coaptation des 2 sexes, dit qu'il ne peut y avoir chez la fille prévalence
de l'organe qui ne lui appartient pas, que sur fond de dénégation de l'existence du vagin, et tente
à partir de là une genèse du terme phallique chez la fille. Mais elle ne fait que reconstruire sur des
prémisses théoriques qui mécomprennent l'affirmation de freud. Et le fait d'une d'une primordiale
expérience de l'organe vaginal est incertaine, prudente, voir même réservée.
L'affirmation de Freud est fondée sur son expérience. Il l'avance avec prudence, et
avec la part d'incertitude si caractéristique de sa présentation de ses découvertes,
mais il l'avance, et comme primordiale. Un point fixe : l'affirmation paradoxale du phallicisme
comme pivot autour duquel l'interprétation théorique doit se développer. Huit ans plus tard
(1931) il prolonge l'affirmation par quelque chose de plus énorme encore.
Entre temps la discussion est très active entre ses élèves : un véritable maquis d'approximations et
de spéculation, un débat profondément immaîtrisé sur les catégories mises en jeu. En rendre
compte est corrélatif de notre travail de cette année : montrer, parallèlement à l'examen théorique
de la relation d'objet, comment la pratique analytique peut s'engager dans la déviation.
Une image donne une idée de cet amas de faits : les auteurs admettent que la petite fille entrant dans
l'Oedipe se met à désirer un enfant du père comme substitut du phallus manquant, et que c'est la
déception qui jouera le rôle essentiel pour la faire revenir de ce chemin paradoxal par quoi elle
est entrée dans l'oedipe ( identification au père), vers une reprise de la position féminine.
Ils montrent l'incidence de la privation de l'enfant désiré du père, et la précipitation du mouvement
de l'Oedipe (présenté comme essentiellement inconscient) avec le cas d'une petite fille qui, d'après
eux, a mieux que d'autres fait la lumière sur ce qui se passait dans son inconscient. Suite à une
"explication", elle se levait chaque matin en demandant si l'enfant du père était arrivé, si c'était
pour aujourd'hui ou pour demain, avec pleurs et colère. Et bien ceci est exemplaire d'une déviation
de la pratique, de comment cette conception de la frustration mène à intervenir dans la réalité
avec des effets douteux, et à l'opposé du processus d'interprétation analytique.
Cet ""enfant du père"" qui apparaît à un moment donné comme objet imaginaire, substitut du
phallus manquant qui joue un rôle exemplaire dans l'évolution, ne peut être mis en jeu n'importe
quand n'importe comment. L'enfant doit être apte aux résonances symboliques, celles déjà
expérimentées dans les réactions possessives ou destructrices de la crise phallique, de la problé-
matique phallique à cette étape. Tout ce qui se rapporte à la prédominance du phallus à x étape de
l'évolution n'a d'effet qu'après coup. Le phallus ne peut être mis en jeu que pour symboliser tel
évènement à tel moment : venue d'un enfant, maternité, possession d'un enfant ... Précipiter par
la parole un élément qui ne peut s'inscrire dans la structuration symbolique du sujet, précipiter
dans le plan symbolique, un rapport de substitution imaginaire à ce qui est vécu de façon tout à fait
différente, c'est le légitimer : c'est installer la frustration au centre de l'expérience.
La frustration ne peut être introduite en tant que telle dans l'interprétation que si elle
s'est déjà passée, comme moment évanouissant, au niveau de l'inconscient.
Et pour nous, analystes, elle n'a de fonction que sur un plan purement théorique,
comme articulation de ce qui s'est passé.
Parce qu'elle est extraordinairement instable, sa réalisation par le sujet est par définition exclue.
La frustration telle qu'elle est vécue à l'origine n'a d'importance qu'en tant qu'elle
débouche sur castration ou privation :
La castration instaure dans son ordre la nécessité de la frustration, la transcende et l'instaure
dans une loi qui lui donne sa valeur. De même elle consacre l'existence de la privation, idée
inconcevable sur le plan réel pour quelqu'un passé au plan symbolique. On voit cela dans les
psychothérapies de soutien, par exemple avec la petite fille qui présentait une ébauche de phobie
après son expérience d'avoir été effectivement privée de quelque chose (dans d'autres conditions
que la petite fille de ce matin) : sa phobie était un déplacement nécessaire, dont le ressort = non
le fait de ne pas avoir le phallus, mais dans le fait que sa mère ne pouvait pas le lui donner,
mais qu'elle ne pouvait le lui donner parce qu'elle ne l'avait pas elle-même.
L'intervention de la psychothérapeute consiste à dire à l'enfant -et elle a parfaitement raison- que
toutes les filles sont comme ça, sans que ce soit une réduction au réel car l'enfant sait très bien
qu'elle n'a pas le phallus, mais pas que c'est la règle. Voilà ce que lui apprend la thérapeute,
qui fait passer le manque sur le plan symbolique qui est celui de la loi. Pourtant l'intervention
est discutable, son efficacité momentanée, puisque la phobie repart de plus belle.
Elle ne se réduira que lorsque l'enfant aura été ré-introduite dans une famille complète.
Pourquoi ?
Alors que sa frustration devrait lui paraître encore plus grande du fait que des mâles (beau-père
et grand frère) entrent dans le jeu de la famille, alors que sa mère était seule, la phobie se trouve
bel et bien réduite : c'est que le sujet n'en a plus besoin pour suppléer l'absence, dans le circuit
symbolique, de tout élément phallophore, des mâles. Le terme de frustration est d'une certaine
façon légitimé du fait qu'il s'agit de manque d'objet plus que de l'objet lui-même, qu'il s'agit
de l'instabilité de la dialectique de la frustration elle-même.
La frustration porte sur quelque chose dont vous êtes privé par quelqu'un dont vous
attendiez qu'il vous donne ce que vous lui aviez demandé. L'objet de la frustration, c'est
le don, c'est l'amour de qui peut vous faire ce don, plus que l'objet attendu. C'est l'origine de
la dialectique de la frustration, encore à l'écart du symbolique.
Le don, ce qui vient de l'autre, est apporté au départ dans une certaine gratuité. Toute la chaîne
qui le cause est encore derrière, inaperçue. Plus tard le sujet s'apercevra qu'il s'agit de quelque
chose de bien plus complet que la confrontation à l'autre, que le don qui surgit, que cela intéresse
toute la chaîne symbolique humaine.
Le don en tant que don fait s'évanouir l'objet en tant qu'objet : il passe au 2nd plan si la demande
est exaucée, et aussi quand la demande n'est pas exaucée, mais alors il change de signification.
C'est ce qui justifie le mot frustration : il a frustration si le sujet entre dans la revendication d'un
objet exigible en droit, dans l'aire narcissique de ses appartenances.
Dans les 2 cas ce moment évanouissant débouche sur quelque chose, nous projette sur un
autre plan que le simple désir : l'expérience humaine connait bien ce quelque chose qui fait que
la demande n'est jamais complètement, véritablement exaucée. Exaucée ou non, à l'étape
suivante elle s'anéantit et aussitôt se projette sur autre chose :
- soit sur l'articulation de la chaîne symbolique des dons ...............................................................
- soit sur le registre fermé absolument inextinguible qui s'appelle le narcissisme, grâce à quoi l'objet
est pour le sujet quelque chose qui est lui et qui à la fois n'est pas lui, de ce fait jamais satisfaisant
L'entrée de la frustration dans une dialectique qui la légalise, la situe, et lui donne aussi une
dimension de gratuité = condition nécessaire à l'établissement de l'ordre symbolisé du réel
où le sujet saura par exemple instaurer comme existantes, admises, des privations permanentes.
A méconnaître cette condition, les reconstructions de l'expérience, des effets liés au manque
d'objet qui s'y manifestent, amènent à des impasses. Vouloir tout déduire du désir (et ses effets
de satisfactions, déceptions) considéré comme élément pur de l'individu est une erreur.
Toute la chaîne de l'expérience ne peut littéralement se concevoir qu'à d'abord poser que
rien ne s'y articule, s'y échafaude, rien ne s'instaure comme conflit analysable, si ce n'est
à partir du moment où le sujet entre dans un ordre de symboles, ordre légal, symbolique,
chaîne symbolique, ordre de la dette symbolique. C'est uniquement à partir de l'entrée du sujet dans
cet ordre qui lui préexiste (à lui et à tout ce qui lui arrive :déceptions, satisfactions) que tout ce
par quoi il aborde son expérience, son vécu, s'ordonne, prend son sens, et peut être analysé.
C'est dans les textes de Freud qu'on peut le mieux apprécier le bien-fondé de ce rappel.
Certains avancent leur côté incertain, ou paradoxalement sauvage, ou de diplomatie (?). Pour ma
part je choisis un des plus brillants, et des plus troublants, qui peut apparaître comme démodé :
Psychogenèse d'un cas d'homosexualité féminine. Une bonne famille du Vienne de 1920
envoyer sa fille (18 ans, belle, intelligente) chez Freud, c'est franchir un grand pas, à quoi on se
résout parce qu'elle est devenue un objet de souci : elle court après une dame du (1/2 ?) monde
de 10 ans son aînée. Un attachement passionnel qui la met dans des rapports pénibles avec sa
famille, et en particulier cela rend le père enragé, cet espèce de défi tranquille dans les assiduités
auprès de la dame, et comment la chose est affichée. On apprend que la mère, qui fut névrosée,
ne prend pas cela tellement au sérieux. On vient demander à Freud d'arranger cela. Il révèle
pertinemment les difficultés d'un traitement pour satisfaire aux exigences de l'entourage,
et qu'on ne fait pas une analyse sur commande comme on reconstruit une villa. Il introduit des
considérations sur l'analyse qui peuvent paraître dépassées, mais sont extraordinaires.
Il précise que l'analyse n'est pas allée à son terme, ne lui a pas permis de changer grand'chose au
destin de la jeune fille, mais il nous en fait part parce qu'elle lui a permis de voir très très loin. Pour
l'expliquer il introduit une idée qui n'est pas sans fondement même si elle paraît désuète, une idée
schématique qui incite à revenir sur certaines données 1 ères. 1. il y a 2 étapes ds l'analyse
la première : ramasser tout ce qu'on peut savoir, la seconde : faire fléchir les résistances
qui tiennent encore, alors que le sujet sait déjà beaucoup de choses. Il fait cette comparaison
stupéfiante qu'avant un voyage on rassemble les bagages, toujours assez compliqué, puis il faut
s'embarquer et parcourir le chemin. Piquante référence pour qui a la phobie des chemins de fer.
Et le plus énorme : pendant ce temps-là on a le sentiment qu'effectivement rien n'opère.
Par contre il voit très bien ce qui s'est passé, et peut mettre en relief un certain nombre d'étapes.
Un moment dans l'enfance du sujet semble ne pas s'être passé tout seul, quand elle a appréhendé
la différence qui faisait d'elle quelqu'un n'ayant pas l'objet par essence désirable, l'objet phallique.
Aucun symptôme hystérique n'est apporté dans l'analyse, rien dans l'enfance ne semble notable
quant aux conséquences pathologiques. C'est pourquoi il est cliniquement frappant de voir éclore
aussi tardivement une attitude qui paraît à tous anormale : sa position à l'égard d'une femme décriée,
et un éclat, à la suite de quoi elle est amenée chez Freud.
La jeune fille, dans un doux flirt avec le danger, allait se promener avec la dame presque sous les
fenêtres de sa maison. Son père les voit, et comme il y a d'autres personnes, il leur jette un regard
flambant. La dame prend fort mal d'apprendre que c'est le père : elle avait eu jusque-là une attitude
plutôt froide, n'avait pas du tout encouragé les assiduités. Aussi elle dit Dans ces conditions on ne
se revoit plus. Elles sont à ce moment pas loin d'un petit pont qui enjambe le chemin de fer,
et voilà la fille qui se jette en bas, et choit (niederkommt). Elle se rompt un peu les os ms s'en tire.
Donc nous dit Freud la jeune fille qui avait eu jusque-là un développement qui s'orientait vers
la vocation féminine et la maternité, se met subitement à fréquenter des femmes mûres, sortes de
substitut maternel. Schéma qui ne vaut pas pour celle qui incarne l'aventure dramatique autour de
laquelle tourne l'analyse, ni la problématique homosexuelle : car la jeune fille déclare à Freud qu'elle
n'abandonnera pas ce choix objectal, ni le lien avec la personne dont elle n'a pas perdu le goût, et
qui se trouve émue par cette marque de dévotion.
Freud rapporte des remarques frappantes à quoi il donne valeur de sanction explicative pour ce
qui s'est passé avant, et pour ce qu'il appelle son échec. C'est le propre des observations de
Freud : nous laisser toujours beaucoup de clartés extraordinaires, même sur les points
qui l'ont en quelque sorte lui-même dépassé. Je pense au cas Dora, où il n'a vu clair qu'ulté-
rieurement sur l'orientation de sa question vers son propre sexe. Il y a ici une méconnaissance
analogue et plus profonde, et beaucoup plus instructive.
Il livre des remarques intéressantes dont il ne tire pas parti sur ce dont il s'agit dans cette tentative
de suicide, acte significatif où se couronne la crise, et à ce qui est intimement lié à la montée de la
tension jusqu'au moment ou éclate le conflit et arrive la catastrophe. Freud explique cela à
partir de l'orientation normale du sujet vers le désir d'avoir un enfant du père.
Que dans ce registre gît la crise originaire qui a fait s'engager le sujet dans un sens opposé,
véritable renversement de la position subjective du à la déception causée par l'objet du désir.
Le sujet s'identifie à cet objet, par régression narcissique. Je fais de la dialectique narcissique
le rapport essentiel moi-petit/autre parce que c'est implicite ds Freud.
Quelle est cette déception qui opère le renversement ? Vers 15 ans elle est engagée vers une
prise de possession de l'enfant imaginaire, s'occupe beaucoup d'enfants .. sa mère a réellement
un autre enfant du père, et elle un troisième frère. C'est le point-clé qui donne à cette observation
son caractère exceptionnel : il est rare que l'intervention d'un petit frère cause un retournement
si profond de l'orientation sexuelle d'un sujet, mais c'est là que la jeune fille change de position.
Où cela peut-il le mieux s'interpréter ?
Pour Freud ce changement est réactionnel et vient du ressentiment à l'égard du père, et c'est cette
"cheville" de la situation qui explique comment est menée cette aventure. La fille est très nettement
agressive envers le père, la tentative de suicide a lieu suite à la déception que l'objet homologue
de son attachement lui cause. Contre-agressivité ? retournement sur elle-même de l'agression
contre le père combiné à l'effondrement de toute la situation, et qui satisfait ainsi symboliquement
ce dont il s'agit par une précipitation au niveau des objets en jeu ? Est-ce que choir en bas du petit
pont est un acte symbolique à rapprocher du niederkommen ("mise bas" d'un enfant) ? Qu'ainsi
nous sommes ramenés au sens dernier et originaire de la structure de la situation ?
Deuxième ordre de remarques de Freud pour expliquer que la situation était sans issue dans le
traitement lui-même, que la résistance n'a pas été vaincue. Ce qu'il dit à la patiente l'intéresse
énormément sans qu'elle abandonne ses positions, maintenant tout cela au plan d'un intérêt
intellectuel. Il compare métaphoriquement ses réactions à celle de la dame qui dit, à travers
son lorgnon, au sujet d'objet divers : Comme c'est joli ! Il signale qu'il n'y a pas absence de
transfert, qu'il reconnaît avec justesse dans les rêves de la patiente concomitants à ses
déclarations non ambiguës sur sa détermination à ne pas changer de comportement. Ces rêves
annoncent un étonnant refleurissement de l'attente de quelque beau et satisfaisant époux et de
l'avènement d'un objet fruit de cet amour. Le caractère idyllique et presque forcé de l'époux
annoncé par le rêve paraît si conforme aux efforts entrepris en commun, qu'un autre que Freud
en aurait pris les plus plus grands espoirs. Lui ne s'y trompe pas en y voyant un transfert,
un double de l'espèce de jeu de contre-leurre mené avec son père qui l'a déçue, et avec qui
elle n'a pas été qu'agressive et provocante, elle lui a fait des concessions.
Il s'agissait de lui montrer qu'elle le trompait. Freud reconnaît l'analogie avec les rêves, et
leur signification transférentielle : reproduire avec lui sa position fondamentale, le jeu cruel mené
avec le père. On ne peut ici qu'entrer dans la relativité foncière de la formation symbolique,
qui est la ligne fondamentale de ce qui constitue pour nous le champ de l'inconscient.
Freud l'exprime en nous disant je crois que l'intention de m'induire était un des éléments
formateurs du rêve, ainsi qu'un tentative de gagner ma bonne disposition, probablement
pour me désillusionner d'autant plus.
Une intention est prêtée au sujet, de le captiver, lui, pour le faire choir, d'autant plus haut
qu'il serait davantage pris dans la situation. On peut y voir une action contre-transférentielle.
Freud retient que le rêve est trompeur et livre une réflexion passionnante sur les objections de
ses disciples (si la manifestation de l'inconscient est trompeuse, si l'inconscient nous ment, à quoi
nous fier ?). Dans une longue explication il montre comment cela peut arriver sans pour autant
contredire la théorie. C'est un peu tendancieux, mais c'est ce qu'il valorise en 1920, à savoir :
l'essentiel de ce qui est dans l'inconscient est le rapport du sujet à l'Autre.
Ce rapport implique à sa base la possibilité d'être accompli au niveau du mensonge.
==> dans l'analyse, nous sommes dans l'ordre du mensonge et de la vérité.
Pourtant il échappe à Freud qu'il s'agit d'un vrai transfert, qui ouvre la voie à interprétation
du désir de tromper. Disons le grossièrement : il prend la chose comme dirigée contre lui.
"tentative de m'embobiner, me captiver, faire que je la trouve très jolie. Très instructif : elle
doit être ravissante pour que comme avec Dora il ne soit pas complètement libre. Penser que le
pire lui est promis évite de se sentir désillusionné et montre qu'il est prêt à se faire des illusions.
Il se met en garde parce qu'il est entré dans le jeu imaginaire, le fait devenir réel. Du coup
il interprète en disant à la jeune fille qu'elle veut le tromper lui comme elle trompe son père, et
cela coupe court à ce qu'il a réalisé comme le rapport imaginaire. Son contre-transfert aurait pu
lui servir à condition que ce n'en fut pas un, c.a.d s'il n'y avait pas cru lui-même. Mais
y étant il interprète trop précocement : à ce qui n'était qu'un désir et non une intention
de le tromper (*) il donne corps, il le fait rentrer dans le réel. Comme l'a fait la thérapeute qui
intervenait avec la petite fille qui attendait chaque matin qu'arrive l'enfant du père.
C'est cela qui est au coeur du glissement de l'analyse dans l'imaginaire : ce piège,
(aujourd'hui cette plaie) Freud nous en livre là, dans le texte, un exemple-limite, transparent,
montrant comment l'interprétation donne corps au conflit alors qu'il s'agit de tout autre chose :
de révéler le discours menteur qui était là dans l'inconscient. Après avoir posé que c'est contre
sa personne, il ne peut poursuivre le traitement.
Il soulève autre chose, très intéressant : la nature de la passion de la jeune fille pour la
dame, qui n'est pas une relation homosexuelle comme les autres (quoique que celles-ci
présentent toutes la variété des relations hétérosexuelles communes, et d'autres en plus. Freud
articule avec un relief extraordinaire ce choix objectal du type männliche, amour platonique
si exalté, qu'il ne demande comme satisfaction que le service de la dame : l'amour sacré,
l'amour courtois en ce qu'il est une extrême dévotion. Et Schwärmerei, qui a un sens particulier
dans la culture allemande : l'exaltation au fond de la relation, d'un rapport au plus haut degré
de la relation amoureuse symbolisée. Loin de toute attitude subie ou d'un besoin, un amour qui
non seulement se passe de satisfaction, mais vise très précisément la non-satisfaction dans
quoi s'épanouit l'amour idéal : l'institution du manque dans la relation à l'objet.
La situation que présente ce cas est exceptionnelle :
il faut la prendre dans son registre propre, et aussi dans son exceptionnelle particularité, qui est
qu'elle s'éclaire de la mise en fonction des 3 catégories du manque d'objet : 3 étages
d'un processus allant de la frustration au symptôme, l'énigme que nous interrogeons,
et qu'on voit se conjoindre en une sorte de noeud.
D'abord on voit la référence,
innocemment vécue, à l'objet imaginaire, cet enfant que l'interprétation laisse voir comme enfant
reçu du père. Les homosexuelles en effet, contrairement à ce qu'on pourrait croire, mais comme
l'analyse l'a fait voir, sont des sujets qui ont fait à un moment une très forte fixation paternelle.
Si ensuite il y a une vraie crise,
c'est qu'intervient alors l'objet réel : un enfant est justement donné par le père, à la mère, à la
personne qui lui est la plus proche. C'est alors que se produit un véritable renversement, dont on
nous explique le mécanisme. Mais ce qui est important au plus haut point, c'est de remarquer que
ce dont il s'agit était existait déjà au plan symbolique : c'est au plan symbolique que le sujet
se satisfait de cet enfant comme d'un enfant donné par le père. Et non plus imaginaire.
C'est cela qui la soutenait dans le rapport entre femmes, le fait que pour elle était déjà instituée
la présence paternelle comme telle, le père par excellence, le père fondamental, celui que sera
toujours pour elle toute espèce d'homme qui lui donnera un enfant.
La présence de l'enfant réel, le fait que l'objet réel est là, pour un instant, réel, matérialisé
par le fait que c'est sa mère qui l'a, ramène la jeune fille au plan de la frustration.
Quel est le plus important de ce qui se passe alors ?
Un retournement qui la fait s'identifier au père ? Qu'elle même devienne cet enfant latent qui pourra
niederkommen au bout de la crise ? Nous ignorons le nombre de mois, à la différence de Dora.
Le plus important, c'est ce qui est désiré au-delà de la femme aimée : L'amour que lui voue
la jeune fille vise quelque chose qui est autre chose qu'elle, son amour vit dans le dévouement
pur et simple et porte à un degré extrême attachement et anéantissement du sujet. Freud évoque
ce Sexualüberschätzing à propos de l'expérience masculine, pas sans raison. Un amour qui
s'épanouit dans une relation culturelle très élaborée, institutionnalisée. La déception fondamentale,
le passage au plan de l'amour courtois, l'issue que trouve le sujet dans ce registre amoureux,
posent la question de ce qui, dans la femme, peut être aimé au-delà d'elle, mettant en cause
ce qui est fondamental dans tout ce qui se rapporte à l'amour et à son achèvement.
Ce qui est à proprement parler désiré chez la femme aimée, c'est ce qui lui manque.
Ce qui lui manque dans cette occasion c'est précisément cet objet primordial dont le sujet
allait trouver l'équivalent dans l'enfant, le substitut imaginaire, auquel il fait retour.
Dans l'amour le plus idéalisé, l'extrême de l'amour, ce qui est recherché c'est ce qui
lui manque, qui est cherché au-delà d'elle : c'est l'objet central de toute l'économie libidinale,
c'est le phallus.
La suite ici :
7. "On bat un enfant" et La jeune homosexuelle.
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