mercredi 12 octobre 2011

Séminaire IV, leçon 10 : L'identification au phallus.

 Séminaire IV sur LA RELATION D OBJET ET LES STRUCTURES FREUDIENNES


     1 ère partie :   THEORIE DU MANQUE D OBJET
        1. introduction
        2. les trois formes du manque d'objet
        3. le signifiant et le saint-esprit
        4. la dialectique de la frustration
        5. de l'analyse comme bundling et ses conséquences.
     2 ème partie : LES VOIES PERVERSES DU DESIR
        6. Le primat du phallus et La jeune homosexuelle
        7. "On bat un enfant" et La jeune homosexuelle.
        8. Dora et la jeune homosexuelle.             
     3 ème partie :  L'OBJET FETICHE
         9. La fonction du voile.
                                   10. L'identification au phallus.    

                                                                               
                                                                                   Hermès attachant sa sandale.
                                                                 http://www.louvre.fr/routes/la-sculpture-grecque



J'ai fait la dernière fois un pas vers l'élucidation du fétichisme, cet exemple fondamental de la
dynamique du désir, qui nous intéresse au plus haut point car 1) nous avons affaire à lui dans notre
pratique, non comme désir construit, mais un désir avec tous ses paradoxes, de même que nous avons
affaire à un objet dans tous ses paradoxes. Et 2) la pensée freudienne est partie de ces paradoxes,
et en particulier du désir pervers. Il ne faut pas oublier cela dans nos tentatives de réduction,
face aux théories les plus naïvement intuitives de la psychanalyse d'aujourd'hui.

Ce petit pas a surpris ceux qui se satisfaisaient de la théorie de l'amour comme étant fondé sur le fait
que le sujet s'adresse au manque qui est dans l'objet. Cela leur semblait suffisamment éclairant,
malgré leur trouble d'apercevoir que de l'au-delà et du manque s'ajoutent au rapport sujet-objet.
Ajouter que quelque chose, encore, est situé avant l'objet : le voile, ce rideau où se fait
la projection imaginaire, est une complication supplémentaire.
Sachez qu'il sert à faire apparaître ce qui devient une figuration du manque : le fétiche, 
comme support du désir qui prend là son nom, dans ce cas le désir en tant que pervers
et le fait que le fétiche vient figurer sur le voile ce qui manque au-delà de l'objet.
Cette schématisation va instaurer des plans successifs => mieux vous y retrouver avec l'ambivalence
et confusion perpétuelles, où le oui équivaut au non, le dirigé dans un sens = dirigé en sens contraire,
bref, tout ce que, malheureusement, les analystes qualifient habituellement d'ambivalence.

A la fin de ce que j'ai dit la dernière fois sur le fétichisme, j'ai montré l'apparition d'une position
"complémentaire" qui apparaît dans les phases de la structure fétichiste, voire dans les tentatives
du fétichiste pour rejoindre cet objet dont il est séparé par quelque chose dont lui-même ne comprend
ni la fonction ni le mécanisme. Cette position qu'on peut dire symétrique, correspondante,
pôle opposé par rapport au fétichismec'est la fonction du transvestisme. Dans le transvestisme
le sujet s'identifie à ce qui est derrière le voile, à l'objet auquel il manque quelque chose.
Les auteurs l'ont bien vu à l'analyse, qui disent, dans leur langage, que le transvestiste s'identifie à
"la mère phallique" ** , en tant que, d'autre part, elle voile le manque du phallus.
Et le transvestisme nous fait aller plus loin.
On n'a pas attendu Freud pour aborder la psychologie du vêtement et voir, dans son usage, quelque
chose d'une fonction transvestiste. L'appréhension immédiate et courante de la fonction du vêtement
est de cacher les pudenda. La question est plus complexe aux yeux de l'analyste, et les auteurs
qui parlent de mère phallique feraient bien de s'apercevoir de ce qu'il disent.
Les vêtements ne sont pas faits seulement pour cacher ce qu'on en a, au sens de en avoir ou pas
mais précisément aussi ce qu'on n'en a pas. Les deux fonctions sont essentielles.Ce dont il s'agit
essentiellement et toujours, ce n'est pas de cacher l'objet, mais aussi de cacher le manque d'objet.
Inversement, dans l'usage massif qui est fait de la relation scoptophilique,
on considère que se montrer est tout simple, et serait corrélatif du voir, du voyeurisme.
Mais là aussi une dimension est volontiers oubliée :
Il n'est pas vrai 
que le sujet simplement "se montre" dans un pôle toujours corrélatif à l'activité "voir",
comme s'il s'agissait simplement de l'implication dans un couple de capture visuelle. Il y a 
dans la scoptophilie une implication supplémentaire, exprimée dans la forme réfléchie du
verbe (qui dans d'autres langues s'appelle la voix moyenne) :  se donner à voir. 
Avec les 2 dimensions combinées, confondues sous le titre "voyeurisme-exhibitionnisme", 
ou noyées dans ce qu'on appelle massivement "la relation scoptophilique", on ne voit pas que
ce que le sujet donne à voir -en se montrant- est autre chose que ce qu'il montre


O. Fénichel, très mauvais théoricien sous une apparente clarté, mais pas sans expérience analytique,
s'en est bien aperçu : sous l'échec désespérant de son effort de théorisation il y a des perles cliniques
et le pressentiment de faits que (grâce un espèce de flair pris de l'expérience) il groupe autour d'un
thème de l'articulation analytique à partir d'un rameau de relations imaginaires fondamentales
Autour de la scoptophilie et du transvestisme, par exemple, il groupe
 ce qui présente une parenté malgré des différences phénoménologiques. Dans une vaste et fade
littérature j'ai cherché jusqu'où les analystes ont pénétré pour articuler cela. Pour Fénichel (1949) 
l'équation girl=phallus  n'est pas sans rapport avec l'équation féces=enfant=pénis. 
C'est à dire que l'enfant peut égaler, dans l'inconscient du sujet, spécialement féminin, le phallus, 
que l'enfant est donné à la mère comme substitut, ou même équivalent, du phallus. son article vise
spécifiquement la fille : il part de traits connus dans le fétichisme, ou qui s'en approchent, ou de
certaines perversions qui marquent la fille, à interpréter comme l'équivalence du phallus du sujet. 
Des données analytiques indiquent que la fille, et l'enfant en général, peut se concevoir soi-même
en équivalent du phallus, le manifester par son comportement, et vivre la relation sexuelle
sur un mode qui comporte qu'elle-même apporte au partenaire masculin son phallus, cela se voit alors
dans la position amoureuse privilégiée : se pelotonner en un certain coin du corps de son partenaire.
Ce sont des faits frappants,
comme ces cas où le sujet masculin se donne à la femme comme étant ce qui lui manque, ou comme
lui apportant le phallus au titre de ce qui lui manque, imaginairement parlant. Fénichel rapproche
ainsi des faits qui en eux-mêmes ne sont pas du tout dans le même rapport à l'objet, objet qui
soit apporte, soit donne, soit désire, soit même se substitue. Mais le regroupement de ces faits va
au-delà de la simple exégèse théorique : que la petite fille par ex. puisse être un objet d'attachement
prévalent pour un certain type de sujets montre qu'une fonction, disons mythique, se dégage là,
concernant aussi bien des mirages pervers que de tout une série de constructions littéraires.

Certains parlent de type mignon en référence à Mignon la bohémienne de Goethe, à qui il prête 
une position bisexuée car elle vit avec un protecteur brutal, énorme, manifestement super-paternel,
qui lui sert de serviteur supérieur, et qui a lui-même besoin d'elle ("Harfner, elle en a le plus grand
 besoin, Mignon, sans laquelle lui ne peut rien faire). Sont ainsi couplés la puissance incarnée, 
puissance à l'état massif, brutal, et ce sans quoi cette puissance est sans efficacité.
Le secret de cette puissance même est ce quelque chose qui n'est rien qu'un manque.

On peut évoquer cette fameuse magie que la théorie analytique attribue, de façon toujours confuse,
à l'idée de toute puissance.
La structure de cette omnipotence n'est pas dans un sujet, cette structure est dans "lamère"
en tant qu'Autre primitif (NDMM : et pas en tant que personne), ce qui est tout-puissant
c'est l'Autre derrière quoi il y a le manque dernier, manque auquel est suspendue la puissance.

Vient un moment où le sujet aperçoit, dans l'objet dont il attend la toute-puissance, ce manque qui
le fait lui-même impuissant. Il reporte alors le dernier ressort de la toute-puissance encore au-delà,
là où quelque chose n'existe pas au maximum, là où, dans l'objet, est symbolisé le manque, 
là où il n'y a rien, que symbolisme du manque, fragilité et petitesse. 
Le sujet alors accentue encore le vrai ressort de la toute-puissance, et nous avons ce très intéressant
type Mignon, reproduit dans la littérature en un très grand nombre d'exemplaires.

Le diable amoureux de Cazotte  est un témoignage exemplaire de la profonde divination de
la dynamique imaginaire que j'essaye de vous développer, l'illustration majeure de ce que signifie
cet être magique au-delà de l'objet auquel s'attachent les fantasmes idéalisants. Le conte
commence dans une caverne ... le diable y apparaît ... sous la forme d'une tête de chameau pourvue
de grandes oreilles et qui dit à l'auteur, d'une voix caverneuse, "Que veux-tu ?" Che vuoi ? 
D'une part cette interrogation, fondamentale, illustre de façon saisissante la fonction du surmoi.
D'autre part et surtout, on voit comment c'est un même être qui est supposé se transformer
après le pacte. Un petit chien devient un ravissant jeune homme, puis une ravissante jeune fille,
qui ne ne cessent de s'entremêler dans une parfaite ambiguïté. Personnage aimé au nom significatif,
"Biondetta", qui devient la source de toutes les félicités,qui accomplit tous les désirs et procure la
satisfaction magique de tout ce qui est souhaité. Le tout baigne dans une atmosphère de fantasme et
d'irréalité, teintés de danger et de menace permanente. La situation se résout par la soudaine rupture
de cette course toujours plus folle, et la disparition catastrophique du mirage au moment où,
comme il convient, le sujet retourne au château de sa mère.
Fragoletta de Latouche est aussi un curieux personnage, nettement transvestiste : une jeune fille, qui
 est un garçon, joue un rôle analogue à celui du Mignon de G. L'affaire finit en duel, et le héros tue
Fragoletta qui s'est présentée à lui comme garçon, et qu'il n'a pas reconnue. On voit l'équivalence
d'un certain objet féminin de la Verliebtheit (état amoureux) avec l'autre en tant que rival.
(ce même autre dont il s'agit quand Hamlet tue le frère d'Ophélie). Ces romans mettent en scène
un personnage fétiché, ou fée. C'est le mot portugais factiso qui a donné le mot  fétiche, qui n'est
rien d'autre que le mot factice. Dans ces romans il est question d'un être féminin ambigu qui 
en quelque sorte incarne, au-delà de la mère, le quelque chose qui lui manque, le phallus.

Il l'incarne parce que ne le possèdant pas, il est -son être- tout entier dans la représentation, Vorstellung. Cette fonction éclaire la relation énamorante qui s'établit dans les voies perverses 
du désir, qui sont exemplaires des positions à distinguer, quand nous analysons ce désir.

Nous voilà conduits à ce qui est là sous-jacent, la notion d'identification.

Latente, émergente, puis redisparaissant, elle est présente dans l'oeuvre de Freud dès l'origine : son
 implication dans La science des rêves, son explication majeure dans le chapitre 7 de Psychologie 
des masses et analyse du moi, nous montrent, comme très souvent chez Freud, et c'est la valeur
de son oeuvre, sa plus grande perplexité : il avoue son embarras, voire son impuissance à sortir du
dilemme de l'ambiguité perpétuelle entre deux termesidentification et choix de l'objet, qui
apparaissent dans nombre de cas comme se substituant l'un à l'autre avec si déconcertant pouvoir de
métamorphose que la transition n'est pas saisie. Il faut pourtant maintenir la distinction, car comme
 le dit Freud, être du coté de l'objet ou être du coté du sujet c'est différent. Pour un objet
devenir objet de choix, ce n'est pas pareil que devenir support de l'identification du sujet.
C'est un fait formidablement instructif en soi. 
Et la facilité avec laquelle on s'en accommode, usant d'un ou l'autre terme comme équivalents sans
observation ni théorisation ! Ou alors cela donne (Gustav Graber, Imago 1937) cette chose étourdissante
 "Deux espèces de mécanismes d'identification" où tout se résout par la distinction identification passive/
/active, alors que les 2 pôles sont présents dans toute espèce d'identification, dont il s'aperçoit in fine.

Il vaut mieux revenir à Freud et reprendre la façon dont lui articule la question. Le chapitre 7 de
Psychologie collective et analyse du moi débute par 1 phrase qui met tout de suite dans qq chose
de bien plus pur que ce qu'on lit d'habitude : L'usage linguistique reste, même dans ses caprices,
toujours fidèle à une Wirklichkeitréalité efficace quelconque. Dans le chapitre précédent 
Freud évoque l'identification au père, exemple de ce qui nous fait comprendre ce phénomène. 

C'est aussi un exemple des mauvaises traductions françaises. Exemples : en allemand  
En même temps que cette identification avec le père, peut-être même un peu plus tôt, le petit
  garçon commence à diriger vers sa mère ses désirs libidinaux"  en Français cela donne
un peu plus tard => se pose la question : l'identification au père est-elle préalable ? 
Autre exemple sur le rapport entre état amoureux et identification qui laisse Freud perplexe. Pour lui
l'identification est 1 fonction primitive fondamentale car elle comporte un choix de l'objet,
ce choix étant profondément lié au narcissisme, l'objet est une sorte d'autre moi dans le sujet
Freud se demande alors comment articuler la différence entre identification et Verliebtheit 
dans leur sens de fascination, inféodation,Hörigkeit, .. 
Cela donne en français  : ds le 1er cas le moi s'enrichit des qualités de l'objet, s'assimile à l'objet ..
dans le second cas il s'appauvrit, s'étant donné tout entier à l'objet, effacé devant lui .
alors qu'il s'agit (voir Ferenczi) d' introjection et des rapports entre introjection et identification.
Ensuite la phrase objet qu'il a posé à la place de son élément le plus constituant, est gommée,
alors que Freud y analysait l'opposition entre ce que le sujet introjecte, qui l'enrichit,
 et ce qui lui prend quelque chose de lui-même, et l'appauvrit). 
Il fait un parallèle avec ce qui se passe dans l'état amoureux, quand un sujet se dépossède peu à peu
de ce qui est de lui-même au bénéfice de l'objet aimé, qu'il se met humblement dans une complète
sujétion par rapport à l'objet de son investissement. Et c'est cet objet, pour lequel il s'appauvrit
qu'il met à la place de son élément constituant le plus important, (Bestandteil). 
Et Freud poursuit dans ce sens sans ménager ses mouvements (il s'avance, voit que c'est incomplet,
 revient en arrière) sur le fait que cette description fait apparaître des oppositions qui, au point de vue
économique, n'existent pas (nicht bestehen) "Au point de vue économique, il ne s'agit ni
 d'enrichissement, ni d'appauvrissement, car même l'état amoureux extrême peut-être conçu
comme une introduction de l'objet dans le moi. 
La distinction suivante porterait peut-être alors sur des points plus essentiels. En français Dans le cas d'identification l'objet se volatilise et disparaît pour reparaître dans le moi, qui subit une 
transformation partielle, d'après le modèle de l'objet disparu. Dans l'autre cas l'objet substitué 
est doté de toutes les qualités par le moi et à ses dépens. Pourquoi l'objet disparaîtrait-il pour 
reparaître dans le moi après transformation partielle d'après le modèle de l'objet disparu ? 
Texte allemand : Peut-être qu'une distinction autre serait l'essentiel. Dans le cas de
l'identification, l'objet a été perdu (référence à la notion fondamentale partout présente chez
Freud : la formation de l'objet, repose sur la notion fondamentale de perte de l'objet) ou abandonné.
(Il ne s'agit donc pas d'objet qui se volatilise ou disparaît, car justement il ne disparaît pas) 
Il est alors de nouveau ré-érigé dans le moi, et le moi se transforme partiellement d'après le
modèle de l'objet perdu. Dans l'autre cas (Verliebtheit) l'objet est conservé (erhalten geblieben)
  et surinvesti (überbesetzt), de la part et aux dépens du moi. Mais cette distinction soulève alors
une nouvelle réflexion : est-il bien sûr que identification suppose abandon de l'investissement
de l'objet ? Avant d'entrer dans cette discussion, arrêtons-nous à la considération que nous présentons, qu'il y a une autre alternative, dans laquelle peut se concevoir l'essence de cet état
 de choses, et qui est que l'objet soit placé à la place du Ich (moi) ou du Ich-ideal (idéal du moi).

La démarche de Freud laisse embarrassé, et ce qui en résulte : la place de l'objet dans ces différents
moments d'aller et de retour, selon qu'il est objet d'identification ou objet de la capture amoureuse, reste ambigüe. Mais ce que j'ai voulu montrer c'est que l'interrogation est posée, et que même
s'il ne s'agit pas d'un texte testamentaire de Freud, c'est un sommet d'élaboration théorique.

Essayons de reprendre le problème 
à partir des rapports de la frustration avec la constitution de l'objet.

D'abord pensez au lien communément établi entre identification et introjection (voir plus haut).
En faisant de la métaphore sous-jacente à l'introjection une métaphore orale, on ne distingue
pas l'introjection de l'incorporation. Cela vient des articulations kleinienne avec ses fameux objets
primordiaux constitués en bons et mauvais, et leur introjection dans un monde primitif, sans limite,
d'un englobement du sujet dans le corps maternel. L'introjection alors fonctionnerait symétriquement
à la projection, avec l'objet dans une espèce de mouvement perpétuel, passant du dehors vers le
dedans, puis repoussé au dehors quand il est devenu intolérable à l'intérieur. 
C'est un abus, et c'est loin d'être freudien.

Par exemple observer, dans la cure d'un fétichiste, des impulsions boulimiques manifestes, corrélatives
d'un tournant dans la symbolisation de l'objet. Qu'est-ce que cette corrélation, à ce moment précis,
avec la pulsion orale ? Impossible de conceptualiser quoi que ce soit d'ordonné (dans nos pensées, 
dans la pratique, dans la clinique) si nous nous contentons de la vague notion à disposition dans 
ces cas-là qui est que "le sujet régresse". Déjà, il est là pour ça. Et si au moment même où le sujet est 
en train de progresser dans l'analyse, c'est à dire d'essayer de prendre la perspective de son fétiche 
"il régresse", vous pouvez toujours le dire, personne ne viendra vous contredire.
Je dis au contraire que chaque fois que
la pulsion apparaît dans l'analyse ou ailleurs, elle doit être conçue dans sa fonction économique,
par rapport au déroulement d'une relation symbolique définie. Pensez à mon schéma primitif de 
la structure symbolique de l'amour : la mère objet d'appel, objet autant présent qu'absent.
D'une part il y a ses dons, signes d'amour.
D'autre part les objets du besoin présentés à l'enfant sous la forme de son sein et ce qu'il contient. 
Les signes d'amour en tant que signes s'annulent s'ils deviennent autre chose que des signes d'amour,
parce qu'il y a équilibre entre les deux, il y a compensation :  chaque fois
qu'il y a frustration d'amour la frustration peut être compensée par le nourrissage, 
qui est satisfaction du besoin. 
C'est parce que la mère manque à l'enfant qu'il l'appelle, qu'il s'accroche à son sein,
et que le sein devient plus significatif que tout.
Car tant qu'il tient le sein il la tient, elle. Tant qu'il l'a dans la bouche il ne peut pas en être séparé.
En plus cela le laisse nourri, reposé et satisfait. C'est ainsi que la satisfaction du besoin est pour
une part compensation de la frustration d'amour, et peut presque devenir une sorte d'alibi.

L'objet (le sein, ou la tétine etc..) prend une nouvelle valeur :  objet réel toujours, 
mais qui, parce qu'il est partie prenante de l'objet d'amour, prend signification symbolique.
Il devient cet objet réel qui fait partie de l'ordre symbolique.
La pulsion alors s'adresse à l'objet réel (sein) en tant que partie de l'objet symbolique.

C'est à partir de là 
qu'on peut comprendre cette histoire d'absorption orale avec son mécanisme soi-disant régressif,
qui peut intervenir dans toute relation amoureuse : 
si un objet réel, qui satisfait un besoin réel, peut devenir un élément de l'objet symbolique.
tout objet pouvant satisfaire un besoin réel peut venir se mettre à sa place.
Et au premier rang cet objet parfaitement matérialisé et déjà symbolisé : la parole.
Si la régression orale à l'objet primitif de dévoration, la réaction d'incorporation, 
vient compenser la frustration d'amour, elle est le moule d'une autre sorte d'incorporation :
l'incorporation de certaines paroles, qui est à l'origine de la formation précoce du surmoi
Ce que, sous le nom de surmoi, le sujet incorpore, est quelque chose d'analogue à l'objet de besoin.
Non pas en tant que don, mais en tant que substitut au défaut du don, ce n'est pas du tout pareil.
[[NDMM : ma grand-mère m'a raconté que dans mon berceau, et réclamant ma mère -son lait,
son amour- mon père mettait sa main au-dessus du berceau, cela me calmait aussitôt. Les omissions
déformations de récit -quelqu'un raconte à quelqu'un qui raconte à quelqu'un- ne disent pas si c'était
la crainte, curiosité, ou le plaisir, qui me "calmait", ni pour combien de temps .. ni si en même temps
il disait chuuuuuut car ma mère se reposait -j'avais 9 mois quand mon frère est né-  Mais on pourrait
comprendre cela comme un acte (geste, plutôt qu'acte de parole) qui viendrait là non pas comme don,
mais comme substitut au défaut du donEt si on admet aussi que c'est ce que j'en aurais fait ...]]

A partir de là aussi le fait de posséder/ne pas posséder un pénis peut prendre double sens, 
entrer par 2 voies différentes dans l'économie imaginaire du sujet.
1. soit que le pénis à un certain moment situe son objet dans la lignée ou à la place de l'objet-sein (forme
d'incorporation orale du pénis qui a un rôle dans le déterminisme de certains symptômes et fonctions)
Dans ce cas le pénis est une fonction imaginaire car c'est imaginairement qu'il est incorporé.
2. soit qu'il entre dans l'économie imaginaire non pas en tant qu'objet compensatoire de la frustration
d'amour, mais en tant qu'il est au-delà de l'objet d'amour (la mère), qu'il manque à celle-ci. Dans ce
cas il s'agit du phallus qui manque à la mère, qui est au-delà d'elle et de sa puissance d'amour.

C'est à propos du phallus en tant qu'il manque, que depuis le début du séminaire je pose 1 question :
1.quand, comment, le sujet fait-il la découverte de ce manque ?  
2.à partir de cette découverte il se trouvera engagé à venir lui-même s'y substituer, c'est à dire choisir, 
pour retrouver l'objet d'amour qui se dérobe, de lui apporter lui-même son propre manque.

Cette distinction capitale permet d'esquisser ce qui est + ou - exigible pour que ce temps se produise.
D'une part la structuration symbolique,
d'autre part l'introjection, qui caractérise l'identification freudienne primitive. 
C'est dans un second temps que se produit la Verliebtheit, concevable uniquement 
dans le registre de la relation narcissique, relation spéculaire telle que je l'ai définie.
Elle se situe à partir du 6 ème mois : alors entre en jeu la relation à l'image de l'autre, qui devient
 ce autour de quoi s'organise, pour le sujet, son incomplétude vécue, le sentiment d'être en défaut
Car c'est par rapport à cette image qu'il voit comme totale, comblante, source de jubilation (c'est la
relation spécifique de l'homme à sa propre image) il réalise qu'il peut, à lui aussi, manquer qq chose.
L'imaginaire est entré en jeu. 
Dés lors, sur la base des deux premières relations symboliques entre l'objet et la mère de l'enfant, 
peut lui apparaître que : à la mère, ou à lui,  il peut imaginairement manquer quelque chose. 
Ainsi, dans la relation spéculaire, le sujet a l'appréhension et l'expérience qu'un manque est possible.
C'est donc au-delà de la réalisation narcissique, 
quand s'organise l'allée-venue du sujet à l'autre, allée-venue tensionnelle, profondément agressive, 
(autour de quoi vont se noyauter les couches successives de ce qui constituera le moi)
 que s'introduit, au-delà de ce que lui-même est comme objet d'amour pour la mère, cette idée que
l'objet d'amour -la mère- est pris, captivé, retenu dans quelque chose que lui-même, en tant qu'objet,
n'arrive pas à atteindre : une nostalgie en rapport au propre manque de l'objet d'amour.
Ceci repose sur l'effet de transmission qui ns fait admettre (c'est aussi imposé par l'expérience,
 et Freud y a adhéré jusqu'à la fin) que : aucune satisfaction par aucun objet réel quelconque
qui vient s'y substituer, ne parvient jamais à combler le manque aperçu dans la mère.

Chez la mère (NDMM : comme chez tout sujet) il reste, comme point d'attache de son entrée
dans l'imaginaire, le manque de phallus. (NDMM cela existe donc à coté de la relation à l'enfant.

C'est après le second temps de l'identification imaginaire spéculaire à l'image du corps 
(qui est à l'origine du "moi"), que tout sujet peut réaliser ce qui manque à la mère.
En effet, l'expérience spéculaire de l'autre comme totalité est une condition préalable. Cest
par rapport à cette image de l'autre comme totalité que le sujet réalise qu'il peut à lui aussi
manquer quelque chose. C'est ainsi qu'il aborde le manque qui existe au-delà de l'objet d'amour.
 Il est amené à désirer (NDMM : + ou - intensément, + ou - longtemps) que ce manque soit comblé,
en se substituant à ce manque, en se proposant lui-même comme l'objet qui comble.

Je vous ai amenés à une forme que vous devez la garder à l'esprit pour la prochaine leçon.
On voit se dessiner les fonctions qui vont se différencier dans le sujet achevé :
surmoi,  idéal du moi,  moi.
Pour cela tâchons de savoir (voir l'art.de Freud) ce que c'est que cet objet qui dans la Verliebtheit 
vient à la place du moi ou de l'idéal du moi.
Evoquant le narcissisme, j'ai insisté sur le fait que la formation du moi est une formation idéale
puisque c'est à partir de l'idéal du moi que le moi se détache. Ouvrez Freud, ses obscurités
fécondes, et vous trouverez ces schémas, où il place les mois des différents sujets.

            Idéal du moi              moi                       objet           objet extérieur

                                                                                GRAPHISCHE DARSTELLUNG de Freud.
                                                    http://www.textlog.de/freud-psychoanalyse-verliebtheit-hypnose.html


Pourquoi les sujets communient-t-ils dans un même idéal ?

Freud explique qu'il y a identification de l'idéal du moi avec des objets supposés être le même. 
On voit que sur le schéma il relie ces trois objets avec un objet extérieur derrière eux tous.
Voyez-vous la ressemblance avec ce que j'explique ? Le Ich-ideal (en français idéal du moi)
 il ne s'agit pas simplement d'un objet, il s'agit de quelque chose au-delà de l'objet,
et qui vient se refléter, non pas purement et simplement dans le moi 
(qui en ressent  sans doute quelque chose  et peut s'en appauvrir) mais dans quelque chose 
qui est dans ses soubassements mêmesdans ses 1ères formes, ses 1ères exigences,  
pour tout dire, sur le premier voile, où il se projette, sous forme d'un idéal du moi.

La prochaine leçon reprendra en ce point, 
sur le rapport de l'idéal du moi, du fétiche
et de l'objet en tant qu'objet-qui-manque, c'est à dire : le phallus.

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mardi 11 octobre 2011

Sém.IV leçon 9 : La fonction du voile.




     Séminaire LA RELATION D OBJET ET LES STRUCTURES FREUDIENNES


     1 ère partie :   THEORIE DU MANQUE D OBJET
        1. introduction
        2. les trois formes du manque d'objet
        3. le signifiant et le saint-esprit
        4. la dialectique de la frustration
        5. de l'analyse comme bundling et ses conséquences.
     2 ème partie : LES VOIES PERVERSES DU DESIR
        6. Le primat du phallus et La jeune homosexuelle
        7. "On bat un enfant" et La jeune homosexuelle.
        8. Dora et la jeune homosexuelle.             
     3 ème partie :  L'OBJET FETICHE
        9. La fonction du voile.


La question de l'objet
est matérialisée de façon particulièrement aiguë avec le fétiche et le fétichisme.

Les schémas fondamentaux que j'ai apportés
 s'expriment tout spécialement dans ces 2 affirmations paradoxales
1)ce qui est aimé dans l'objet, c'est ce dont il manque 2)on ne donne que ce qu'on n'a pas.

Le schéma qui implique, dans tout échange symbolique (et quel que soit son sens fonctionnement)
la permanence du caractère constituant d'un au-delà de l'objet, nous permet
de voir sous un jour nouveau, et d'établir différemment les équations fondamentales
de cette perversion qui a pris rôle exemplaire dans la théorie analytique : le fétichisme.
Freud aborde cette question principalement dans 2 textes, entre 1904 et 1927 : un paragraphe
sur le fétichisme dans Trois essais sur la théorie de la sexualité et un article intitulé Le fétichisme.
Il nous parle d'emblée du fétiche comme symbole de quelque chose, mais que, au regard de
de tout ce qui se dit sur le fétiche depuis qu'on parle de l'analyse nous allons être déçus.
Il dit que ce symbole c'est le pénis, mais pas n'importe lequel : le pénis dont il s'agit
n'est pas le pénis réel, c'est le pénis qu"a" la femme, c'est celui que la femme n'a pas.


 Certains n'y voit que méconnaissance du réel, croyant qu'il s'agit du pénis que la femme n'a pas
et qu'il faudrait qu'elle ait, du fait du rapport douteux de l'enfant avec la réalité. Spéculations sur
le développement et les crises du fétichisme qui éludent l'important, et conduisent à des impasses.
Il faudrait des heures pour détailler cette forêt, tant est délicat et fastidieux de situer le point
           où une matière se dérobe parce que l'auteur évite le point crucial d'une discrimination.

On peut éviter ces errances et pointer de dont il s'agit en précisant que :
il n'agit pas d'un phallus réel qui existe ou n'existe pas, il s'agit d'un phallus symbolique
qui fonctionne dans l'échange comme absence, en tant qu'absence.
Car
tout ce qui peut se transmettre dans l'échange symbolique est toujours quelque chose qui
est autant absence que présence, fait pour avoir cette sorte d'alternance fondamentale
qui fait qu'étant apparu en un point, il disparaît, pour reparaître en un autre.
 Il s'agit du phallus en tant qu'il circule et laisse derrière lui, au point d'où il vient,
 le signe de son absence : il est un objet symbolique.

D'une part il s'établit, par cet objet, un cycle structural de menaces imaginaires qui limite
l'usage du phallus réel : c'est le sens du compl. de castration, en cela que l'homme y est pris.
Et il y a l'autre usage, caché, si l'on peut dire, caché par les fantasmes + ou - redoutables
de la relation de l'homme aux interdits sur l'usage du phallus. C'est sa fonction symbolique.
C'est uniquement en tant
qu'il est , ou qu'il n'est pas là, que s'instaure la différenciation symbolique des sexes.
C'est à dire toujours là/pas-là = au-delà de toute relation entre l'homme et la femme.

Symboliquement, la femme ne l'a pas. Mais n'avoir pas le phallus symboliquement,
c'est l "avoir" .. à titre d'absence.
Ensuite, en tant que dans la réalité elle n'en a qu'un tout petit, ce phallus de la réalité peut être
 à l'occasion objet de nostalgie, être ressenti du coté de l'insuffisance. Mais ce phallus là
n'est pas le seul qui entre en fonction pour elle, car elle est dans la relation subjective où,
pour l'homme, il y a, au-delà d'elle, ce phallus qu'elle n'a pas, ce phallus symbolique
qui existe là en tant qu'absence. Un phallus qui n'a rien à voir avec l "infériorité" ressentie
occasionnellement au plan imaginaire pour ce qui concerne sa participation réelle avec le phallus.
(clitoris+organe sexuel féminin en tant que creux ne font pas image comme érection pén.NDMM)
C'est ce pénis symbolique que je place dans le schéma de la jeune homosexuelle,
en tant qu'il a une fonction essentielle dans l'entrée de la fille dans l'échange symbolique.
Car c'est en tant qu'elle n'a pas ce phallus, donc qu'elle l'a sur le plan symbolique, c'est à dire
en tant qu'elle entre dans la dialectique symbolique d'avoir ou de n'avoir pas le phallus,
et par là dans cette relation ordonnée et symbolisée de la différenciation des sexes,
cette relation interhumaine assumée, disciplinée, typifiée, ordonnée, marquée, frappée d'interdits
comme par exemple la structure fondamentale de la loi de l'inceste.
C'est cela que veut dire Freud  quand il écrit que c'est par l'intermédiaire
de "l'idée de castration" -qui est que n'ayant pas le phallus, elle peut l'avoir symboliquement,
que la fille entre dans le complexe d'œdipe (et le garçon en sort).

C'est en ceci que se justifie, structuralement parlant,
l'androcentrisme dans le schéma lévi-straussien des structures élémentaires de la parenté :
C'est un fait : les femmes s'échangent comme objets entre les lignées
et les lignées sont fondées sur la lignée mâle parce qu'elle est symbolique et improbable.

Elles entrent dans les lignées par un échange :
en échange de ce phallus qu'elles reçoivent symboliquement elles donnent un enfant .
L'enfant prend fonction d'équivalent du phallus, enfant par quoi elles introduisent,
dans la généalogie symbolique phallocentrique et stérile, la fécondité.

En se rattachant à cet "objet" unique, central, (qui n'est pas un objet car il a subi radicalement
la valorisation symbolique) en le prenant comme intermédiaire du rapport au phallus,
 les femmes entrent ds la chaîne de l'échange symbolique, y prennent place, et valeur.

On voit cela s'exprimer de mille façons. Par exemple ce thème fondamental que
la femme se donne : qu'exprime-t-il, sinon l'affirmation du don ? l'expérience psychologique
concrète -paradoxale- montre que dans l'acte d'amour c'est la femme qui, concrètement,
reçoit, plus qu'elle ne donne. Or tout indique, et l'expérience analytique aussi, qu'il n'y a pas de
position imaginairement plus captatrice, voire dévorante. Que cela soit renversé en l'affirmation
contraire -la femme se donne- c'est que symboliquement il doit en être ainsi, à savoir :
qu'elle doit donner quelque chose en échange de ce qu'elle reçoit, le phallus symbolique.

Le fétiche, (Freud) représente le phallus en tant qu'absent, symbolique. Le "renversement"
permet de comprendre ce paradoxe que c'est toujours le garçon qui est fétichiste, jamais la fille.
Si tout était sur le plan de la déficience, de l'infériorité imaginaire, ce serait plutôt chez elle,
 réellement privée du phallus, que le fétichisme devrait se déclarer le plus ouvertement.
Or il n'en est rien, c'est excessivement rare, au sens propre et individualisé où il s'incarne
dans un objet répondant d'une façon symbolique au phallus en tant qu'absent.

Comment peut s'engendrer cette singulière relation du sujet à un objet qui n'en est pas un ?

Si le fétiche est symbole -dit l'analyse- il est sur le même pied que tout symptôme névrotique.
Sauf que :avec le fétichisme on est du coté de la perversion et pas de la névrose, en tout cas
nosographiquement, pour des raisons d'apparence clinique. Mais il faut y regarder de près
pour le confirmer dans la structure, du point de vue de l'analyse.
Pas comme ces auteurs qui mettent le fétichisme à la limite des perversions et des névroses,
au prétexte de caractère élèctivement symbolique du fantasme crucial.

Partons du plus haut de la structure, et arrêtons-nous à cette position d'interposition qui fait que
ce qui est aimé dans l'objet d'amour est quelque chose qui est au-delà. "Quelque chose",
rien sans doute, et qui pourtant est là symboliquement, et parce qu'il est symbole non seulement
il peut, mais il doit être ce rien. Ce qui matérialise le mieux cette relation d'interposition, où ce qui
est visé est au-delà de ce qui se présente, c'est une des images les plus fondamentales de la
relation humaine au monde : le voile, le rideau. Un rideau ou un voile devant quelque chose,
 c'est ce qui permet le mieux d'imaginer la situation fondamentale de l'amour : par la présence
du rideau ce qui est au-delà comme manque tend à se réaliser comme image. Sur le voile
se peint l'absence, c'est même la fonction du rideau, qui prend valeur et consistance d'être,
justement, ce sur quoi se projette et s'imagine l'absence : le rideau c'est l'idole de l'absence.
C'est pour cela que le voile de Maya  est la métaphore la plus commune pour exprimer le rapport
de l'homme avec ce qui le captive, ce sentiment qu'il a d'une certaine illusion fondamentale dans
tous les rapports tissés de son désir. C'est bien là ce dans quoi l'homme incarne,
idolifie son sentiment de ce rien qui est au-delà de l'objet d'amour.
Gardez à l'esprit ce schéma fondamental
pour situer correctement les éléments qui entrent en jeu dans l'instauration du fétichisme.



    
                                                                  schéma du voile, 

                                                                ( http://cause.des.filets.fr/Diable_amoureux.shtml )

Nous avons le sujet,
et nous avons l'objet avec son "au-delà" qui est "rien", symbole, phallus manquant à la femme.

Dès qu'un rideau ou voile est placé, sur lui peut se peindre quelque chose disant :  l'objet est au-delà.
L'objet peut alors être en place du manque,  être le support de l'amour, en tant que justement
il n'est pas le point où s'attache le désir. D'une certaine façon le désir apparaît comme une
 métaphore de l'amour, mais ce qui l'attache, l'objet, semble valorisé en tant qu'il est illusoire.
On nous explique le fameux "splitting" de l'ego, quand il s'agit du fétiche, en disant que la femme
y est à la fois affirmée et niée, que le fétiche étant là elle n'a pas perdu le phallus.
Mais du même coup on peut le lui faire perdre = la châtrer. Cette ambiguïté est constante, 
sans cesse manifeste dans les symptômes : vécue en même temps dans une illusion soutenue
soutenue et chérie comme telle, et dans l'équilibre fragile à la merci de l'écroulement ou
ou du lever du rideau. La relation du fétichiste à son objet est dans ce rapport. Freud utilise
le mot Verleugnung pour la relation fondamentale de déniement ds la relation au fétiche,
mais précise qu'il s'agit de faire tenir debout (aufrecht zu halten) cette relation complexe.
Comme il parlerait d'un décor. C'est la langue de Freud, si imagée et précise à la fois, en termes
qui prennent ici toute leur valeur : l'horreur de la castration s'est à elle-même posé, par la
création d'un substitut, un monument. Le fétiche est un Denkmal. Pas "trophée", pourtant
il est là, doublant le signe d'un triomphe (das Zeichen des Trimphe) Maintes fois d'ailleurs,
autour de ce phénomène typique du fétichisme, les auteurs parlent de ce par quoi
le sujet héraldise son rapport avec le sexe. Freud ici nous fait faire un pas de plus.

Aller tout de suite au "pourquoi" (pourquoi le sujet a besoin d'un voile), nous ferait tomber dans
le chaos pandémoniaque de ces tendances qui viennent en foule expliquer que .. le sujet peut
 être .. plus ou moins loin de l'objet .. se sentir arrêté par lui .. menacé par lui ..en conflit avec lui ..
Restons-en à la structure celle qui est dans le rapport de l'au-delà et du voile :
1. sur le voile peut s'imager = s'instaurer comme capture imaginaire et place du désir,
la relation à un au-delà, fondamentale dans toute instauration de la relation symbolique.
 = dans la fonction du voile il s'agit de la projection de la position intermédiaire de l'objet.
2. toujours sur l'institution d'un rapport symbolique dans l'imaginaire, nous avons vu à propos
de la structure perverse, la métonymie, et l'allusion, la lecture entre les lignes comme formes
 élevées de la métonymie. Et bien sauf qu'il n'emploie pas le mot métonymie, c'est pourtant ce
que dit Freud quand il dit que ce qui constitue le fétiche, l'élément symbolique qui le fixe
 et qui le projette sur le voile, est un élément emprunté à la dimension historique :
c'est le moment de l'histoire où l'image s'arrête.

Il y a un moment où est cherché dans la mère ce phallus qu'elle a et qu'elle n'a pas,
moment qui est à penser en termes de présence/absence, absence/présence. 
Dans la remémoration de l'histoire, juste avant ce moment on trouve un arrêt, une suspension,
comme un film qui soudain se figerait. "Remémoration" est à rapprocher de souvenir-écran,
Deckerinnerung : plus que d'un simple instantané, il s'agit d'une interruption de l'histoire.
L'histoire marque l'arrêt, et indique aussi que son mouvement se poursuit .. au-delà du voile.
Le souvenir-écran est un arrêt dans une chaîneil est relié à toute une histoire, une histoire
constituée de sa nature. Ce en quoi il est métonymique. 
Mais en faisant arrêt, la chaîne indique une suite désormais voilée, absente, "refoulée", comme
Freud le dit nettement. Nous parlons de refoulement qu'en tant qu'il y a chaîne symbolique.
Or, si on désigne comme point de refoulement un phénomène qui passe pour imaginaire (le fétiche
est d'une certaine façon une image, projetée) c'est parce qu'une image peut faire point limite 
entre l'histoire qui se continue et un moment d'interruption : signe, repère du point de refoulement.
Nous voyons se distinguer là, une fois de plus, deux relations différentes :
La relation à l'objet d'amour d'une part, la relation de frustration à l'objet d'autre part.

Par une métaphore l'amour se transfère au désir, qui s'attache à l'objet illusoire.

La constitution de l'objet n'est pas métaphorique, elle est métonymique : un point, dans
la chaîne de l'histoire, un signe qu'elle s'arrête, que là commence un au-delà constitué par le sujet
Pourquoi ? Pourquoi là ? Pourquoi le voile est-il plus précieux à l'homme que la réalité ?
Pourquoi cette cette relation illusoire devient-elle un constituant essentiel, nécessaire,
du rapport avec l'objet ? C'est la question posée par le fétichisme.

Beaucoup de choses s'éclairent à partir de là et du 1er exemple d'analyse du fétichisme par Freud
avec cette merveilleuse histoire du monsieur ayant passé son enfance en Angleterre, venu se faire
fétichiste en Allemagne : il cherchait toujours "un petit brillant sur le nez" parce que du
"a glance at the nose" lui venant de ses 1ère années, il avait fait "ein Glantz auf die Nase" 
peu importe que la signification soir un regard sur le nez. Symbole, bien sûr. Ainsi entre en jeu
et se projette en un point sur le voile la chaîne historique, qui peut contenir non seulement
toute une phrase, mais plus encore, une phrase dans une langue oubliée.

Quant aux causes de la structure fétichistes, les auteurs sont embarrassés :
il y a cette notion de la genèse du fétichisme articulée essentiellement au compl. de castration,
mais il y a aussi ce fait que c'est dans les relations pré-œdipiennes et nulle part ailleurs qu'il paraît
le plus certain que la "mère phallique" est l'élément central. Pour joindre ces deux choses
les auteurs ne sont pas à l'aise. Du coté de l'école anglaise et M. Klein, on structure
les 1ères étapes des tendances orales, les moments les plus agressifs surtout, en introduisant
la présence du pénis paternel par projection rétro active, par rétro action du complexe d'oedipe
dans les 1ères relations avec les objets, qui sont introjectables. Cela facilite l'accès à un matériel
qui permet d'interpréter de quoi il s'agit. Laissons de coté la critique du système de M. Klein,
et tenons-nous en à ce que nous avons, en partant de la relation fondamentale
de l'enfant réel, de la mère symbolique, et de son phallus -imaginaire- à elle.
C'est un schéma à manier avec précaution
car il se concentre sur un même plan
alors qu'il répond à des plans divers et entre en fonction à des étapes successives.
Pendant longtemps l'enfant n'est pas en mesure de s'approprier
la relation imaginaire qui fait la division de la mère à son sujet. C'est ce que nous tenterons
cette année d'élucider : comment et quand cela entre en jeu pour l'enfant, et comment se fait
son entrée dans la relation à l'objet symbolique dont le phallus est la monnaie majeure.
Questions temporelles, chronologiques, d'ordre, de succession,
comme l'indique la psychanalyse sous l'angle de la pathologie.

Les observations montrent ce qui est corrélatif à ce singulier symptôme : un sujet en relation
élective à un fétiche, objet fascinant inscrit sur le voile, et autour de quoi tourne sa vie érotique.
On voit à l'analyse (pas simple description clinique) que ce sujet a sa liberté de mouvement. Et aussi
très bien les éléments que je vous ai articulés et signalés par Binet comme par exemple ce point,
saisissant, du souvenir écran qui fixe l'arrêt (au bas de la robe de la mère, voire de son corset)
ou le rapport ambigu du sujet au fétiche : un rapport d'illusion, vécue et préférée cmme telle.
Ou la fonction si satisfaisante de l'objet inerte, à la merci du sujet pour ses relations érotiques.
Et l'analyse peut cerner ce qui se passe chaque fois que, pour une quelconque raison
le recours au fétiche fléchit, s'exténue, s'use, ou se dérobe, simplement.
Le comportement amoureux, la relation érotique du sujet, se résumant à une défense ?
C'est dans l'International journal (voir Payne, Greenacre, Gillepsie, Dugmore) ou les travaux
dans le Psycho-analytic study of child. C'est articulé dans notre schéma, Freud l'a entrevu
(quand il dit que le fétichisme est une défense contre l'homosexualité), ou Gillepsie (que la marge
entre les deux est extraordinairement mince. Bref : que nous trouvons dans les relations à
l'objet amoureux qui organisent ce cycle chez le fétichiste une alternance d'identifications :

- soit identification à la femme : avec pénis et phallus imaginaires des expériences de la période
oro-anale centrées sur l'agressivité, de la théorie sadique du coït, (bien des expériences en analyse
montrent une vision de la scène primitive perçue comme agressive, violente, voire meurtrière)
- soit inversement identification au phallus imaginaire comme pur objet que la femme pourrait
dévorer voire détruire.
= oscillation aux deux pôles de la relation imaginaire primitive à quoi l'enfant est confronté
de façon brute, avant que la relation s'instaure dans sa légalité œdipienne
par l'introduction du père comme sujet, centre d'ordre et de possession légitime.

Oscillation bipolaire de la relation,
 entre deux 2 objets inconciliables aboutissant de toute façon à issue destructrice, meurtrière.
C'est ce qu'on trouve au fond des relations amoureuses
chaque fois qu'elles sont soulevées, qu'elles tendent à s'ébaucher, qu'elles tentent de s'ordonner.
Dans la voie moderne de l'analyse, qui me rappelle mon propre chemin, l'analyste intervient là,
pour faire percevoir au sujet l'alternance de ces positions et leur signification,
introduire la distance symbolique nécessaire au sujet pour qu'il en perçoive le sens.
Ces observations, riches, fructueuses, nous montrent les mille formes que peut prendre,
ds la vie précoce du sujet, le décomplétage fondamental qui le livre à la relation imaginaire 
soit par identification à la femme / soit de la place prise du phallus imaginaire,
c'est à dire dans les deux cas dans une insuffisante symbolisation de la relation tierce.
(Des auteurs notent l'absence quelquefois répétée, la carence comme on dit, du père. (attention :
 Lacan va revenir sur ceci plus loin pour le nuancer NDMM), ainsi qu'un certain type de position
du sujet : une immobilisation forcée, singulièrement reproduite ds certains fantasmes. Payne par ex
rapporte un cas de ligotage suite à 1 extravagante prescription médicale, un enfant empêché de
marcher jusqu'à 2 ans, maintenu au lit par des liens, dans la chambre de ses parents. Etroitement
surveillé, sans aucune ébauche de réaction musculaire, il était dans 1 relation purement visuelle,
 relation aux parents assumée dans la rage et la colère qu'on peut supposer. Cas rares, comme ceux
évoqués de la phobie de certaines mères qui les fait tenir leur enfant à distance comme s'il était
source d'infection, (NDMM : et si = peur de l'infecter ?..) qui doivent contribuer à une prévalence
de la relation visuelle dans la constitution primitive à l'objet maternel).

Plus instructive que des exemples de "viciation" de la relation primaire est la relation pathologique
prise comme envers, ou complément, de l'adhérence libidinale au fétiche. La parenté avec
le fétichisme, qui englobe toutes sortes de phénomènes, est un peu guidée par l'intuition :
tel sujet attaché à un imperméable paraît de même nature que tel autre attaché à ses souliers.
Pourtant, structurellement parlant,
l'imperméable contient par lui-même des relations et une position différentes de celles du soulier :
le soulier est directement dans la position de voile entre le sujet et l'objet.
L'imperméable déjà fait partie des fétiches plus enveloppants, de plus il se signale par la
qualité -spéciale- du caoutchouc, trait fréquemment rencontré, et qui recèle quelque mystère
ayant à voir avec la sensorialité (contact spécial avec le caoutchouc proche d'une doublure de
peau) ou avec des capacités d'isolement spéciales. De la structure des rapports délivrés dans
certains centres où l'observation est faite analytiquement, on voit que l'imperméable joue un rôle
qui n'est pas exactement celui du voile. Le sujet ne se situe pas devant le voile, le voile est
plutôt quelque chose derrière quoi le sujet se centre, à la place de la mère, en identification à
une mère qui a besoin d'être protégée. Ici c'est par l'enveloppement.
C'est plutôt du coté du transvestisme où l'enveloppe est plus de l'ordre de la protection que
du voile, comme une égide ** , en fait, dont s'enveloppe le sujet identifié au personnage féminin.

Autre relation particulièrement exemplaire : des explosions d'exhibitionnisme, soit réactionnel
soit en alternance avec le fétichisme, observés quand le sujet tente de sortir de son labyrinthe à cause
d'une mise en jeu du réel qui l'a déstabilisé, qu'il y a cristallisation ou renversement de sa position.
Pensez à la jeune homosexuelle quand l'introduction du père comme élément réel fait s'interchanger
 les termes : quand ce qui était situé dans l'au-delà (le père symbolique) est pris dans la relation
  imaginaire, et que le sujet prend une position homosexuelle démonstrative par rapport au père.

Autres très jolis cas de sujets qui, en tentant d'accéder à une relation pleine (ds des conditions
de réalisation artificielle, de forçage du réel) expriment par un acting-out, donc au plan imaginaire,
ce qui était symboliquement latent à la situation. Exemple : un sujet tente pour la 1ère fois un rapport
réel avec une femme, mais s'engage dans cette expérience pour montrer ce qu'il est capable de faire.
Il y réussit plus ou moins bien grâce à l'aide de la femme ... mais dans l'heure qui suit, et alors que rien
ne laissait prévoir chez lui que de tels symptômes soient possibles, il se livre à une exhibition.
Très singulière, fort bien calculée : il va montrer son sexe au passage d'un train international,
 là où personne ne peut le prendre la main dans le sac.
Le sujet a été forcé de donner 1 issue à quelque chose qui était implicite, son exhibitionnisme
fut l'expression, la projection, au plan imaginaire, de ce dont il n'avait pas compris les implications
symboliques, à savoir que dans l'acte qu'il venait d'accomplir il ne s'agissait que d'essayer de
montrer qu'il était capable d'avoir une relation normale. 1 forme d'exhibitionnisme réactionnel,
qu'on retrouve  dans des observations voisines du fétichisme, d'autres carrément fétichistes :
on sent que ces actes délinquants sont des équivalences du fétichisme.
[M. Schmideberg : un homme a épousé une femme deux fois plus grande que lui, un ménage où il
jouait le rôle d'ubuesque souffre-douleur en faisant de son mieux face à l'horrible situation. Averti
qu'il va être père, se précipite dans 1 jardin public et montre son organe à 1 groupe de jeunes filles.
Mme Schmideberg, ici un peu trop Anna-freudienne, fait toutes sortes d'analogies ... son père était
déjà un tant soit peu victime de sa femme et s'était dégagé de la situation en se faisant surprendre
avec une bonne, et avait mis sa conjointe à sa merci par l'intermédiaire de la revendication jalouse.
Cela n'explique rien, et Schmideberg évite le principal.
Elle croit avoir analysé (short analysis en plus) une perversion. Mais pas la peine de s'émerveiller,
il n'y a pas plus de perversion que d'analyse. Elle laisse de coté que ce qui s'est manifesté,
par un acte d'exhibition, c'est du sujet : on ne peut expliquer cet acte qu'en se référant
au mécanisme de déclenchement par quoi c'est ce qui vient là en plus dans le réel, et qui est
 inassimilable symboliquement, qui fait se précipiter ce qui est au fond de la relation symbolique,
à savoir l'équivalence phallus-enfant.
Faute de trouver une autre façon d'assumer cette paternité, faute même d'y croire, le brave homme
est allé montrer au bon endroit l'équivalent de l'enfant,
soit ce qui lui restait alors comme usage de son phallus.

30 janvier 1957.


Et comme Lacan suit admirablement son fil, de séminaire en séminaire, et de leçon en leçon,
dans la prochaine il sera question de L'IDENTIFICATION AU PHALLUS.


http://divanfauteuilgargoulettepsychanalyse.blogspot.fr/2011/10/seminaire-iv-lecon-10-lidentification.html
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