lundi 30 juillet 2012

1. Société civile, mariage homosexuel.

   
 

      Daniel Pendanx sur le site Oedipe (forum "mariage homosexuel"tient une position
       anti-mariage homosexuel  courageuse et très bien explicitée,
       contre J.A. Miller qui produit un texte/pétition-déclaration pour le projet de loi.

      Sur le site de Patrick valas, Pendanx précise sa position, sa conviction,en appui sur les travaux
   de Pierre Legendre : il critique la pétition JAM &co, et regrette la censure exercée par le site
   Oedipe envers les "anti".
      On peut voir la différence entre son courage et les infinies précautions des autres, quand ce n'est pas
    leur silence complet sur ce sujet, surtout s'ils s'interrogent sur les effets de cette "loi".
       Charles Melman, par exemple, pas exempt de brutalité dans d'autres circonstances, marche sur
    des oeufs dans de très courts articles, à lire sur le site de l'A.L.I. (et à la fin de cet article)

      Le texte de Pendanx     ( http://www.valas.fr/Daniel-Pendanx-les-petitions-et-l-interprete,307)                     n'est pas abordable par ceux qui ne connaissent pas la psychanalyse mais qui tentent 
éanmoins  de connaître les positions des psychanalystes, car il contient plusieurs notions qui prêtent 
à des confusions malheureuses dans le grand public.

     Je prends la responsabilité d'en extraire ce qui est susceptible d'être entendu du plus grand nombre (les autres peuvent aller au texte original). Cela donne une forme peut-être critiquable, ma seule préoccupation étant de ne pas trahir la pensée de Pendanx dans ce que j'en ai saisi. C'est MA lecture.
     Il n'y a pas de raison que le plus grand nombre n'ait accès qu'à JAM dans cette affaire.
                                                               
   

      D. Pendanx pense que vouloir, comme JAM, démarquer la psychanalyse de "certaines thèses" (extrémisme politico-religieux) n'est pas une raison pour cautionner les thèses d'une nouvelle dogmatique, d'un sujet qui serait libre de toute attache fiduciaire, d'un sujet dispensé de l'Oedipe.

         Faire le malin, comme JAM au sujet des écclésiastiques, est plus facile que de saisir que le danger principal est du coté du nouveau familialisme, homoparental.
         S'engager dans une résistance critique du projet est une autre paire de manche : cela demande une autre liberté et un autre courage politique que :
       - donner la religion comme un vulgaire consommable qu'on prend, ou non, dans un "marché des religions" made in USA,
       - occulter la question "d'où je cause" comme si la parole n'avait pas de fondements institués,
       - faire comme si la civilisation se déployait sans mythe fondateur (Genèse ou pas), mythe fondateur dont la représentation centrale est celle du couple originaire Père/Mère
        - Adorer comme eux "le dernier lacan" n'annule pas que Lacan a écrit dans Les complexes familiaux : "le sort psychologique d'un enfant dépend du rapport entre elles des figures parentales". 
         Ce rapport repose sur un étayage symbolique, culturel, institutionnel, noué à l'ordre langagier de nomination de la parenté, à partir de quoi on peut considérer la folie de la déconstruction en cours sans que ce soit du vieil oedipisme ou du vieux juridisme.
     Le juridique, y compris celui d'aujourd'hui, a pour vocation anthropologique, clinique (voir Legendre), de faire valoir la distinction entre les figures selon la logique structurale ternaire. Droit et juges ont aussi cette fonction symbolique, clinique.
     Et non pas, comme le juridisme (Daniel Pendanx a une longue expérience de la justice des mineurs), de seulement gérer les comportements, le plus souvent dans les formes homoparentales du familialisme.
     Droit et juges ont cette fonction de remettre en scène, symboliquement, la représentation oedipienne qui fait valoir qu'il y a un écart entre les figures, que papa et maman c'est distinct, que papa n'est pas une maman comme les autres, que "papamaman" ne fait pas Un, ne fait pas Totalité indifférenciée.

      Il faut ouvrir les yeux sur la déconstruction des digues du droit s'il ne soutenant plus symboliquement qu'un homme et une femme sexuellement ça n'est pas pareil. D'ailleurs prendre le droit, en général, de récuser le réel, c'est ce qui fonde le fantasme sous-jacent au totalitarisme.
       L'incomplétude qui nous constitue en tant qu'être parlant a une facture institutionnelle externe au sujet.
       C'est un fait juridique, symbolique : il n'y a de sujet de la parole que lié, quelles que soient ses orientations sexuelles, à une représentation non faussée, une représentation où les figures Père et Mère ne sont pas confondues.
      Si nous n'avons pas à interdire les fantasmes de scène primitive, quels qu'ils soient,
      nous n'avons pas pour autant à nous faire serfs de ce que porte la future loi, une perversion de la fiction originaire, entraînant la légitimation du fantasme dans la réalité.

        Les pétitionnaires qui ont suivi JAM font comme si le juridique était distinct de la généalogie, distinct du principe du Père (rabattu par les ultraféministes sur la domination patriarcale), distinct de la logique des places (qui n'a rien à voir avec inférieur/supérieur). En formulant que "la structure oedipienne n'est pas un invariant anthropologique" ces praticiens ont-ils peur de passer pour non conformistes ? ne voient-ils pas le déséquilibre impliqué ?
        Peu de psychanalystes leur ont répondu. Pour éviter le conflit ?
        Leur formule choc et sans subtilité, assénée à l'emporte-pièce, se montre serve de l'ultra-libéralisme, du culte du MarchéLibreServiceNormatif. Elle évacue le fondement institué de la parole et de la clinique, conduit à des pratiques désarticulées de la problématique oedipienne et laisse ainsi le champ libre, sous couvert du sujet désirant "auto-fondé", aux positivistes technogestionnaires qui font du sujet une affaire de servitude et soumission consentantes.

       Les deux formules :
       "LAFemme" n'existe pas (c'est à dire : il y a LES FEMMES, et pas UneFemmeTotaleVirtuelle) et
       "Il n'y a pas de rapport sexuel (c'est à dire ce que Chouchou et Loulou nous démontrent à longueur d'épisodes : on a beau s'aimer et faire l'amour tant et plus, entre les préoccupations respectives de l'un et celles de l'une IL N Y A PAS DE RAPPORT).
        Ces deux formules consacrent un fait de structure, un fait langagier, institutionnel, un effet des nominations de tous temps noué par le DROIT CIVIL. C'est ce nouage qui se trouve perverti, déconstruit, pousse-à-l'indifférenciation et à l'inceste (au sens psychanalytique d'indifférenciation). Le prêtre qui a eu droit aux cris d'orfraie n'a eu que le tort de passer un peu vite du registre de la REPRESENTATION au registre du réel.
         Lacan n'a pas cessé de chercher à déjouer (et en dernier avec les noeuds) ce rabattement des registres l'un sur l'autre.

        S'il y a une gageure politique, pour les psychanalyste, elle est plutôt (voir Legendre) de savoir comment livrer la psychanalyse au plus grand nombre sans en faire un mythe religieux, sans la forcer à tenir boutique, sans faire de l'analysant un menteur qui répèterait idiotement qu'il serait interdit d'interdire.

       Un gouvernement souriant peut faire oublier que la tyrannie industrialiste est toute occupée au désarmement des sujets, à la manipulation du texte freudien, dans le but d'obtenir une soumission moderne.

                                                                           _____
                                                                 
       Je copie-colle les deux articles de Charles Melman consultables sur le site de l'ALI, précautionneux comme je l'ai dit, et plus encore dans le deuxième, où il montre, en faisant état d'une défaillance,
qu'il déserte carrément, qu'il prend la poudre d'escampette. Mais on sait lire entre les lignes.

à propos du mariage gay
Auteur : Charles Melman
11/01/2013
Le débat public semble confus, juste retour d’une question mal posée.
Peut-on y introduire autre chose ?
Remarquons d’abord que le mariage est une institution anthropologique, universelle donc, dont les cérémonies religieuses ou civiles marquent seulement la reconnaissance sociale.
En tant qu’institution le mariage organise entre collectivités humaines l’échange des femmes. C’est abusivement qu’on évoque à ce propos « l’interdit » de l’inceste puisque celui-ci n’est formulé nulle part, mais interprété à partir d’un réel qui lie la pérennité du désir sexuel au rapport à l’altérité. Cette apparente nécessité serait levée par l’homosexualité qui témoigne d’un goût fondamental pour le même (il est déjà à l’œuvre chez Platon) encore que la force du dispositif est telle qu’elle substitue régulièrement à l’identité du sexe des partenaires une altérité des places, apparemment incontournable. Si c’est le cas, l’identité sexuelle des partenaires ne devient-elle pas un problème indifférent ? Cette question prend place dans une « théorisation » qui depuis Deleuze envisage le corps comme un organisme à la recherche dans l’environnement d’une satisfaction indépendante du sexe attaché à ce corps comme à celui du partenaire.
La fantaisie – on ne peut même plus dire le fantasme – gagne ainsi sur l’anatomie et les prescriptions symboliques qui s’y attachent. Deux points restent alors en suspens dans cette promesse.
1) Une relation qui n’est plus médiée que par le goût des partenaires, sans référent tiers, débouche forcément sur le culte du dominant/dominé, un rapport de maîtrise réciproque qui n’a de sens qu’à aller à son terme.
2) La mise en cause, avec le mariage gay, d’une institution anthropologique interroge sur la nature de la spécification de l’homme dans le règne animal. On sait que pour les chercheurs dans lesdites neurosciences, il n’y en a pas. En restera-t-il une pour nos politiques ?



On Sem ?
Auteur : Charles Melman18/01/2013
Notre prochain séminaire sera celui de l’hiver du père. Certes on le savait mais le projet du mariage gay donne à ce savoir reconnaissance publique et légitimité. Hommes et femmes pourront se séparer et aller chacun de leur côté, et tenter de trouver dans la mêmeté du partenaire le remède au défaut de rapport sexuel. Prophétisée par Lacan la ségrégation exaltera, faute de père, le pouvoir d’un maître totalitaire, puisque toute altérité y sera perçue comme dommage et offense. De l’hommage au dommage, ce sera le parcours à faire. Ce n’est évidemment pas celui du nœud à 3 puisque la mêmeté des ronds n’est jamais que celle du trou qui les centre, et que le manque-à-jouir résultant ne peut être confondu avec le jusqu’à-plus-soif contemporain.
Ce qui est troublant est d’imaginer ce que pourrait être le déplacement du manque-à-jouir, à supposer qu’une écriture permette d’établir une proportion entre les deux sexes.
En ce qui me concerne je ne sais pas si ce sera plus ou moins de jouissance, mais je serai privé, pour des raisons triviales, des travaux de ces journées dont je n’aurai connaissance qu’à mon retour. Il est possible qu’ils n’en soient que plus intéressants d’être sous la responsabilité d’Angela Jesuino Ferretto, Claude Landman, Jean-Jacques Tyszler et Etienne Oldenhove dans la poursuite de notre cheminement.










                 Et le dernier en date, où il affirme un peu mieux sa position, mais c'est trop tard, d'où l'aigreur sous-jacente ?
              Du coup la chose politique s'est faite sans lui. C'est ce qu'il voulait, ménager la chèvre et le choux et pouvoir dire, espérant que la loi ne passerait pas, que ce n'est pas de sa faute.
              Mais les hommes politiques sont lâches, ils n'ont pas eu le courage que Melman n'a pas eu non plus. A qui la faute ?
              Aux femmes, dit-il. C'est tout ce qu'il a trouvé.



11/02/2013



                                                                  Double N
Si j’étais intervenu lors du dernier Séminaire dont nous devons l’excellente tenue à Angela**, Claude, Jean-Jacques, Étienne et nos autres amis, j’aurais fait remarquer qu’un papa, c’est d’abord une double négation. La première fait état du non qu’oppose le réel, la seconde dit non à cette opposition. Cette opération donne sa propriété au signifiant qui fait du non opposé par le réel au Un qu’il constitue alors, la condition du désir. Celui-ci n’exige donc nul outrepassement, puisque grâce à papa, il est prescrit. Du proscrit au prescrit, voilà bien l’espace de la névrose. D’autant qu’elle trépigne devant l’impossibilité du rapport sexuel, non seulement parce que celui-ci ne proposera que du semblant, mais parce que ce sera du semblant de… phallus, gardien du désir, le phallus est aussi l’unique objet dans l’Autre offert, dans cette dialectique-là, à la satisfaction.
Autrement dit il n’y a de jouissance offerte que de Dieu, sublime ou bien sexuée quand elle prend pour objet sa représentante, une femme donc, mais, comme on le voit, jouissance fondamentalement homosexuée. Si l’homme est un ravage pour une femme, c’est bien qu’il attend qu’elle soit Une, toute donc, comme lui. Et comme elle ne demande qu’à le satisfaire, elle inventera le féminisme, soit l’appartenance à un groupe où, en miroir de celui des hommes, elle est bien toute, les laissant au bonheur de batifoler entre eux, entre copains. Il ne reste plus qu’à bénir la ségrégation des sexes. Merci pour votre attention.
P.S. : Qu’on ne s’inquiète pas pour ma santé. Je dois à un lapsus de calendrier d’avoir été au soleil.

                                                           __________________

** j'ignore comment, mais des internautes qui cherchent sur Google "Angela Jesuino-Ferruti" arrivent sur cet article de mon blog. C'est vrai qu'elle est psychanalyste. Mais sur ce blog il n'y a rien la concernant. Aussi je mets ce lien, qui renvoie à un de ses articles, qui peut-être intéressera certains :

Jesuino-Ferretto Angela, « Corpus christi ? Ou d'un nouveau type d'aliénation du corps », La revue lacanienne 2/ 2008 (n° 2), p. 54-58
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Concernant la manière de lire les discours suivant qu'on est un psychanalyste lacanien, 
par exemple, ou un "psychanalyste" adepte de la théorie du moi façon USA,
un article de Liliane Fainsilber
peut-être intéressant à lire, où on repère à quoi ces psychanalystes réfèrent l'homosexualité :
à quelque chose du coté du désir, donc du phallus, pour Lacan,
à quelque chose du coté du comportement, pour d'autres :



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samedi 21 juillet 2012

8 ème séance : Il n'y a que nous deux, ici.



Il m'est arrivé de regretter d'avoir dit ce que j'avais dit. 

Je pense à cette situation banale d'une discussion banale,
 au cours de laquelle tout à coup le ton monte, des mots s'ensuivent, et "ça part en vrille"..
(très juste image, qui me fait penser au tourbillon produit par un cyclone).
D'ailleurs c'est consacré par une expression : "Untel et Untel, ils ont eu des mots."

Ce qui s'est passé c'est qu' un mot de son discours a percuté quelque chose chez moi.
Quelque chose qui n'avait rien à voir, mais qui me tenait à cœur, sûrement.
On peut avoir le cœur "tenu". 
On peut être tenu "à cœur" par quelque chose celé, et scellé, dans la langue. 
Mon emportement soudain, ma sortie, disons "de route", l'a sidéré.
Ce qui est fait est fait.
Je ne sais pas comment les choses se sont décantées pour lui.
J'espère que c'est un jugement sur moi, genre "ça va pas la tête ?"
*décanter un liquide : le séparer des matières en suspension, qui se déposent au fond.
Clarifier, mettre de l'ordre, dégager les éléments essentiels.
L'analyse peut servir à cela : la décantation. Sans empêcher qu'on y revienne, la preuve.
On peut revenir sur un acte, avec l'acte de dire.

Il y a une scène d'enfance dans la série "Les Sopranos",  que Tony adulte évoque
parce qu'à l'époque elle l'avait sidéré, et lui avait "coupé le sifflet".
"ça me la coupe", c'est quelque chose qui s'entend assez couramment.
 Donc Tony et sa mère sont dans la cuisine quand il l'apostrophe assez irrespectueusement, 
et alors elle se penche vers lui pour lui rabattre son petit caquet
du genre "toi mon petit bonhomme il faudrait voir à pas trop la ramener"..
 Sur le seul plan verbal quelque chose comme : 1: "Vlan !" et 2: "Vlan !" le retour.
mais le cinéaste a du génie, ou des souvenirs, et un inconscient : 
il nous montre les visages (de profil) et les yeux dans les yeux. 
Mais ce sont des italiens, ils parlent aussi avec les mains, 
alors entre les deux visages on voit aussi la main de la mère.
Comme ils sont dans la cuisine et qu'elle touillait la tambouille 
elle a gardé sa fourchette à la main.
Dans le bureau elle aurait eu un stylo on aurait une scène intellectuelle,
dans la chambre elle lui mettrait sous le nez une chaussette ce serait scène comique ..
Mais la fourchette sous le nez de Tony pendant que sa mère le remet à sa place ..
Comme tout un chacun 
le cinéaste sait sans le savoir ce qu'il en est de l'interdit, de la castration symbolique,
et de la question, universelle, qui porte sur le phallus ..

Le rapport avec ce que j'évoque au début c'est l'enfant sidéré, interdit,
quand en lui se réveille le trauma,
le drame quasi universel, qui a déjà eu lieu mais qui a, et aura toujours, son lieu.
C'est l'effet "fourchette" d'un dire perçu comme menaçant quelque chose.

Pendant notre discussion, banale, 
un mot a ouvert la porte à quelque chose qui s'est faufilé chez moi.
Ainsi envoyée ailleurs - tout en étant là -
 à cause d'un mot qui, de mon coté seul, en a tamponné d'autres, 
j'ai eu des paroles non appropriées sur un ton inapproprié, il a été sidéré.

Dans ces cas là, au mieux on dit "je ne dis pas ça pour toi". 
Excuse dérisoire qui est pourtant la vérité vraie.
"Ah bon ? pour qui alors ?"  pourrait-il demander à juste titre.
 "Je ne dis pas ça pour toi" ou "ça ne t'était pas adressé".
 "Non ? et à qui alors ? Je ne vois que nous deux,ici." pourrait-il dire.

Oui.   Et non.

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                  Pour ma définition de *"décanter", ainsi que pour choisir les termes *"celer" et *"sceller",
                                je me suis connectée sur  LEXILOGOS, un plaisir et une merveille :

                                                               http://www.lexilogos.com/

                   D'ailleurs j'y retourne, il me semble que "percuter" et "tamponner" le nécessitent aussi.

                                                        http://www.cnrtl.fr/definition/percuter
                                                                           _________


Ceci est la page wikimédia sur laquelle j'ai trouvé cette photo des Femmes dansant, 
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bengasi_(cirenaica),_donne_danzanti,_200_ac..JPG 



jeudi 26 avril 2012

7 ème séance : Lacan l'homme.

     
     Plus de trois mois sans me connecter ! Et ça dure ..


     J'ai voulu faire ce blog en respectant la forme de l'association d'idées : les idées comme elles viennent, à partir d'une parole première, d'un acte qui inaugure : c'était en août dernier, avec le message "Je reviendrai", et la volonté de laisser venir la suite, sur le thème des mots qui tracent.

     Mais les blogeurs sont des coucous, ils nichent chez un hébergeur : ici c'est Monsieur Google. Et malgré notre projet commun (qu'existent les blogs),  nous ne sommes pas complètement dans la même temporalité, nous n'avons pas le même horizon, ni les mêmes motivations.
     Et lui il veut qu'on alimente, sinon-il-prend-des-sanctions : de fermeture, carrément !
     Déjà que je n'ai pas fait tout-bien tout-comme-il-faut pour être "référencée dans les moteurs", 
et qu'en conséquence le blog est sur la même page que les canapés et les fauteuils !

     Mais ça me va. Parce que c'est cohérent avec mon idée d'illustrer la psychanalyse comme elle vit,
 comme elle vient, de montrer comment se manifeste l'inconscient qui ne connait pas le temps, l'inconscient qui connait la grammaire mais pas comme vous et moi, l'inconscient qui peut nous pousser à aligner, dans le discours, des mots qui n'ont rien à voir, qui nous pousse à insérer sans le vouloir un mot-intrus dans une phrase, à manger* des mots, en fabriquer d'autres.

     Ce qui m'éloigne d'ici en ce moment, ce n'est pas seulement une panne dans les associations, une résistance au dévoilement, c'est aussi que le monde nécessite mon attention, et en particulier
- l'affaire de la psychanalyse qui serait à écarter des personnes autistes,
- l'affaire de Toulouse où un jeune homme, dont on dit qu'il serait un loup solitaire en réseau -comprenne qui pourra- a commis l'horreur des horreurs. 

     Voilà que j'ai été amenée, par mon discours et ce qu'il signifie dans le dernier paragraphe, bien loin de ce par quoi j'ai introduis le message d'aujourd'hui, qui était du coté du plaisir, plaisir à penser, à imaginer, à écrire ici.

     Alors sans transition : plutôt que faire la critique d'un livre en disant pourquoi ceci et pourquoi cela, je mets à disposition, tel quel, un extrait de :
                                                                  
                                                   Q U A R T I E R   L A C A N
                                                           (champs Flammarion)    


     C'est un livre d'entretiens d'Alain-Didier Weill, que je relis de temps en temps.
     A chaque lecture je suis émue et même bouleversée par certains entretiens, moi qui n'ai pas connu Lacan alors que son oeuvre me donne tant et tant*. L'entretien avec Wladimir Granoff surtout, où se manifeste .. l'humanité : la peine, le regret, la trahison, l'amour déçu .. Mais il est un peu long pour être recopié, alors je choisis un entretien parmi les plus courts, entre Alain-Didier Weil, Madeleine Chapsal et Serge Leclaire.


     A.D.W : .. tu représentes .. celui dont la communication au colloque de Bonneval sur l'inconscient en 1960 a été le texte "passeur" de l'enseignement de Lacan .. as-tu conscience du rôle que tu as joué dans la rencontre de cette génération avec Lacan ?
     M.C : Je vous ai vu pour la première à Guitrancourt chez Lacan, et en ai conclu que vous étiez un intime. Qui avez-vous connu d'abord ? L'analyste ? celui que faisait des séminaires ? ou l'ami ?
     S.L : Ni l'un ni l'autre. J'ai été le voir sur les indications de Françoise Dolto alors que la psychanalyse était pour moi une chose vraiment très peu familière. Notre premier contact est exemplaire de ce que fut pour moi cette rencontre : à la fois en direct, au coeur des choses, et en biais, sur les cotés. Il a été décidé quasiment sur le champ que je viendrais lui parler comme analysant, ce qui s'est fait pendant plus de quatre ans, pendant lesquels beaucoup de choses se sont passées, dans l'analyse elle-même et dans le mouvement analytique.
     M.C : Donc il était votre analyste ?
     S.L : Il était à la fois mon analyste et quelqu'un d'extraordinairement proche. Pas au sens de la familiarité, mais de quelqu'un qui entendait, et que vraisemblablement j'entendais aussi. Beaucoup d'anecdotes témoignent de relations non strictement analytiques ..
     .. vers les années 54-55, il passait en Alsace au prétexte d'une visite à Heidegger et un pélerinage sur les lieux de Goethe -ce qu'il a fait scrupuleusement. Il ne faisait pas très beau. Je lui ai proposé une promenade dans la forêt, sur les petits sommets vosgiens. Son enthousiasme était modéré, mais dès que je lui dis le nom de l'endroit, un lieu-dit, Urchstein, "pierre originelle", on est parti immédiatement, non équipés bien sûr, alors qu'il restait un peu de neige. Typiquement une rencontre sur des ....
     M.C : Sur des signifiants ?
     S.L : Sur des signifiants, comme il aurait dit, et comme nous disons maintenant.
     M.C : Vous faites de lui un personnage un peu austère. Mais il semble que vous l'ayez aussi aimé en tant qu'homme, tel quel ....
     S.L : Je crois que ce qui m'a le plus touché .. ce qui me touche le plus chez lui, c'est que je sentais toujours dans ses paroles, justement les plus neutres et les plus occasionnelles, quelque chose comme un appel, comme s'il était toujours là à appeler, à crier, à insister, à supplier, à dire : "Est-ce que vous m'entendez ? Est-ce qu'il y a quelqu'un pour m'entendre ?"
     M.C : Est-ce que vous l'avez entendu ?
     S.L : Je pense, à ma façon. Il y a mille façons de l'entendre. 
     M.C : Qu'avez-vous entendu de plus essentiel ?
     S.L : Sa persévérance, sa façon d'être tout entier dans son être, on pourrait dire, dans cet appel. Et du même coup, aussi, quelque chose de sa solitude. Elle n'apparaît pas dans son histoire, on ne peut pas dire qu'il a été seul, mais il y a quelque chose en lui d'une profonde solitude qui m'a touché. Cet appel, cela allait jusqu'au cri, tous ceux qui ont été proches de lui ont entendu, à un moment ou à un autre, ce que je dis là : c'est quelqu'un qui pouvait vous appeler à deux heures du matin parce qu'il avait quelque chose à dire dans des moments de crise, justement pendant ces années, comme en 1953 où il se sentait en butte à la malveillance, pour ne pas dire la persécution de ses collègues analystes. Il téléphonait, comme ça, en pleine nuit, pour dire son désarroi.
     M.C : Mais il n'a pas fait qu'appeler, ce que d'ailleurs font d'autres gens : il vous a apporté quelque chose. Pourriez-vous nous dire quoi, dans quel domaine essentiel ?
     S.L : C'est là qu'on peut reconnaître l'affinité. Il m'a apporté au fond ce qu'il me demandait, il m'a apporté cette formidable présence et cette écoute, qui ne s'est pas limitée à la situation analytique. J'ai su, avec lui, qu'il pouvait y avoir quelqu'un qui entendait. Qu'est-ce qu'on peut apporter de plus ? Je ne sais pas, le reste, je dirai, est presque secondaire .. C'est ce qu'il m'a apporté : cette fantastique présence, cette écoute, en situation analytique ou ailleurs, bien au-delà de ce que je pouvais entendre de mon appel, de mon cri, de mon angoisse, de ma solitude. Il y en avait au moins qui m'entendait, de ça, j'étais sûr. Alors ..
     M.C : Vous dites vous même, en tant qu'analyste, qu'il n'y a rien de plus rare que l'écoute ..
     S.L : Oui.
     M.C : Ca, il l'avait ? Beaucoup de bruit ont couru sur lui, qu'il ne serait peut-être pas formidable clinicien, vous vous dites exactement l'inverse ..
     S.L : Je dis exactement l'inverse. Dans une très grande discrétion, dans une économie de mots et de paroles, il pressentait, des semaines, des mois, des années à l'avance, ce qui allait advenir de tel ou tel, qui allait le trahir ou qui allait le quitter, qui allait se dévouer entièrement à lui, ce qu'il ne souhaitait pas d'ailleurs. Il avait une façon de pressentir, à partir d'une fraction de mots qu'il entendait .. Même s'il n'écoutait pas beaucoup ça ne l'empêchait pas d'entendre, malgré toutes ses préoccupations, occupations ..
     M.C : c'était aussi un théoricien, ça vous a nourri, aidé ? Freud pouvait suffire, considérez-vous qu'il y a un apport de Lacan au-delà, ou à coté, de Freud ?
     S.L : Sûrement, mais puisque c'est la façon dont je l'ai vécu et senti, disons que j'ai, par rapport à la théorie d'une façon générale, un intérêt très vif mais toujours méfiant. Lacan a apporté des mots, des concepts nouveaux, et, comme il le disait de façon pathétique les dernières années, des signifiants nouveaux. Dans le cours de son travail on peut relever beaucoup d'incohérences apparentes, de retournements, alors que les fils sont ailleurs, quelque chose qui excède le sens et la signification, comme il l'a toujours enseigné. La persévérance dans ses signifiants est un véritable travail théorique : une constante mise au travail de ce qu'il inventait, de ce qu'il découvrait, en empruntant à droite et à gauche, en faisant feu de tout bois, en se servant de toutes les théories, de toutes les philosophies, de toutes les recherches contemporaines, de toutes les hypothèses. Il en faisait quelque chose qui n'est pas à proprement parler un corpus ou une théorie, mais quelque chose qui garde encore sa force de travail vivante. Quand on lit les Ecrits c'est ça qui passe pour moi d'abord.
     M.C : Comment le situez-vous par rapport à Freud ?
     S.L : Bien qu'on puisse imaginer qu'ils n'auraient pas eu beaucoup d'affinités s'ils s'étaient rencontrés, je pense que Freud, malgré ses apparences de "Herr Professor", était quelqu'un qui avait la même folie et la même passion que lacan.
     C'était la même écoute. Freud n'avait pas la même pudeur que Lacan, la même réticence à faire état de son travail clinique, à commencer d'ailleurs par le travail avec ses propres rêves.
      Lacan avait la capacité de s'endormir en dix secondes, quand il avait un peu de temps, ce qui était fort utile étant donné son rythme de travail. Freud, lui, avait la capacité de produire des rêves quand il avait besoin de travailler. Il l'a raconté, ça fait partie de ses histoires avec Fliess.
     M.C : Est-on dans un après Lacan ? Ou encore en plein Lacan ?
     S.L : Après 1 siècle de psychanalyse, on est tout juste à découvrir une fois de plus l'analyse. On n'est dans aucun après, on est peut-être encore dans des avants, au moins pour ceux qui n'ont pas encore rencontré la psychanalyse .. ce n'est pas pertinent d'utiliser des termes comme "après Freud", "après Lacan". Ces écrits-là traverseront les siècles, ne ne sais pas, comme ceux de Parménide, même s'il en reste très peu.
     M.C : Et les analystes qui commencent ? Lacan est-il précieux pour eux ? Est-ce qu'ils le lisent ?
     S.L : Il est précieux, il est redoutable, et ils ont du mal, parce qu'ils n'ont pas connu l'homme. Ils ont du mal aussi parce qu'ils ne sont pas toujours passés par Freud, dont les écrits sont plus accessibles, plus sensibles, plus cliniques.
     Quelques uns d'entre eux, comme moi au début, ont fait une rencontre en ouvrant un texte de Lacan. Mais il y a tout l'appareil de glose autour de ses textes, dont Lacan se méfiait beaucoup, qu'il stigmatisait en le situant dans le registre du discours universitaire, celui avec lequel on fait les thèses. pour beaucoup l'accès à Lacan passe par là, ça leur rend les choses plus difficiles.
     M.C : Vous nous faites un portrait de Lacan magnifique, émouvant. Comment se fait-il que cet homme ait si peu conquis le grand public ? Qu'il ait même une espèce de mauvaise image, de réputation de dandy qui a essayé de bluffer le bourgeois, comme on disait autrefois des peintres ? Il y a là quelque chose qu'on comprend mal. Avez-vous une explication ?
     S.L : je vous dis ce qui me vient, ce n'est pas une explication. Il y a un versant de Lacan, qui fait aussi profondément partie de qui il est : c'est un personnage tragique.
     J'ai essayé certaines fois lors de nos rencontres d'en parler, de lui dire à quel point je trouvais cette obstination tragique contraire à l'esprit de la psychanalyse. Mais en même temps ça donne une familiarité avec ce qu'on pourrait appeler le fond de l'être. Ce coté tragique il s'employait à le masquer -il le reconnaissait- et c'est une chose qui m'a profondément touché. Je ne comprends que trop bien que certains aient essayé d'en faire un pitre, un clown : chacun sait que le pitre ou le clown est un personnage tragique.
     Plutôt que de le prendre au sérieux, parce que le tragique ça se prend quand même au sérieux, la tendance a toujours été de s'en défendre. Il m'est arrivé d'entendre des choses qui n'étaient rien de moins que "méfiez-vous c'est le diable" .. Ce versant du personnage, diabolique, tragique aussi, ne fournit pas une explication par rapport à la question que vous me posez, mais me paraît quand même quelque chose de fondamental, de déterminant. Pendant toutes ses dernières années le tragique était vraiment là, on l'a reconnu, même médiatiquement.
     M.C : A propos de la thérapie, comment se situait-il ?
     S.L : Il était d'une présence extraordinairement chaleureuse auprès des personnes en désarroi. Certains disent "qu'est-ce qu'il a eu comme suicides !" Alors que peu d'analystes ont eu une présence aussi chaleureuse, aussi tendre, aussi dévouée, auprès des personnes en désarroi.
     M.C : J'ai connu des cas qui vont dans ce sens. Mais j'aime votre formule "c'était un homme qui était proche du fond de l'être".
     S.L : Et qui ni ne le cachait, ni ne s'en prévalait, ni ne s'en servait comme faire-valoir.
     M.C : C'était un don ? ou quelque chose qu'il a cultivé, travaillé ?
     S.L : Je pense qu'il n'avait pas le choix : c'était le fond de son histoire et de son secret. Ca faisait partie de ses fantasmes originaires. Comme on dirait d'un personnage tragique, c'était son destin. 
     M.C : Cette persévérance dont tu parles, dégradée par certains en persévérance diabolique, m'évoque l'Eglise qui a nommé, à sa façon "errare humanum est, perseverare diabolicum". Quand Lacan a défini comme religieuse la communauté analytique de l'IPA qui l'excluait, n'est-ce pas une façon de dire que l'horreur de l'inquisiteur est induite par l'hérétique soutenu par sa persévérance ?
     S.L : Oui, et je préciserai ce que tu dis, à quoi je souscris. Cette persévérance dans le péché de Lacan, c'est à la fois persévérance dans le fait d'avoir dérobé aux dieux non pas le feu du ciel, mais de leur avoir dérobé la parole et le langage, et persévérance dans le fait de la rendre aux humains. Sur ce point il était intraitable. Le perseverare que tu dis, il l'a lui même proféré en disant "je persévère", ou "encore", c'est à dire : quelque chose ne lâchera pas. Qu'il se soit retrouvé, par rapport à la communauté analytique, dans cette situation d'excommunication n'est pas étonnant, étant donné qu'en dérobant la parole aux dieux ou à leurs substituts, il s'est confronté aux analystes pour lesquels la parole analytique était devenue parole réservée.
     M.C : C'était un combattant ?
     S.L : Je le vois plus comme un explorateur, et ça c'est très freudien. Explorateur que rien ne pourrait arrêter ....  le nombre de lieux où il avait quelque chose à découvrir, le nombre de fois où il a tenté de se faire ouvrir une église, un musée, un lieu fermé .. est incalculable. On a pu en rire, mais c'était une passion.
     M.C : Il avait la passion des êtres, aussi .. il est allé voir Cohn-Bendit dès qu'il a surgi. Il y a eu d'autres cas ?
     S.L : Oui, il était explorateur de tout ce qui bouge, de tout ce qui vit : dès que ça vivait quelque part, il y allait.
     M.C : Dans la mesure où tu fais partie de cette génération qui a rencontré Lacan dans l'immédiat après-guerre, peux-tu évaluer l'incidence de cette période historique sur ta rencontre avec lui ?
     S.L : Le terme d'après-guerre résume la question, et je vais être extrêmement abrupt dans ma réponse. Je le dis comme je le sens, pour ma génération, la Shoah, les camps, étaient moins connus qu'aujourd'hui. Je veux dire qu'on cachait encore cela, ou tout au moins on était très pudique là-dessus. Je ne sais pas si c'est resté ainsi après le film de Resnais Nuit et brouillard,  mais c'était ça le contexte d'après-guerre. Mon interprétation c'est que pour cette génération, pour nous, je ne vais pas reprendre des idées de rachat, mais il y avait quelque chose à rattraper, que Lacan a très bien saisi. Lui n'a pas parlé de façon aussi directe. Je pense que nous étions tous marqués, même sans l'avoir élaboré, même sans le savoir. Maintenant on ne laisse plus à tout un chacun le temps de l'élaborer, de le reconnaître et de le reconstruire, on vous explique les choses ..
     Il faudrait que je m'explique sur la façon dont l'invention de la psychanalyse par Freud a donné les moyens de penser l'extermination, celle des juifs en particulier, mais ce serait long et difficile. Heureusement aujourd'hui ça ressort, il y a tout le questionnement sur les années brunes de la psychanalyse, et sur notre positionnement, aujourd'hui, comme analystes, devant ce qui continue de menacer de revenir.
      M.C : Au colloque de Rome en 1975 Lacan avait dit que le retour du racisme lui paraissait prévisible et irrépressible, j'avais été étonnée. Qu'en penses-tu ?
     S.L : Que c'est peut-être à ce propos qu'il faudrait se transformer en combattant.
     M.C : il parlait de racisme et de ségrégation ?
     A.D.W : Il en a parlé bien avant que ça revienne si massivement sur le devant de la scène. A partir de son expérience ? du quotidien de la pratique ?
     S.L : C'est une chose dont nous avons tous l'expérience. Ce que nous entendons au fil des heures sur le divan c'est quand même mieux que la télé ! Au sens où ce n'est pas trop trafiqué, et ça s'entend. Avec l'oreille qu'il avait, il l'a entendu un peu plus tôt.
     MC : Je crois que Bettelheim l'a dit aussi.
     S.L : Oui, mais lui y avait été, en camp.
     A.D.W : Comment les proches de Lacan ont pris la question ? Qu'est-ce que ça suscitait ?
     S.L : Ce que ça suscite habituellement : 80% de surdité et 2 ou 3% disant "Oui, bon, d'accord." Et les autres ne disant rien de tranché.
     M.C : On n'a pas parlé d'une dimension qui me semble importante chez Jacques Lacan, sa relation aux femmes. Vous en avez été témoin ? Il avait un rapport particulier aux femmes, entre autre comme s'il y avait deux peuples : les hommes et les femmes. Moi je me suis sentie reconnue dans mon être par Lacan, et c'est ce qui m'a beaucoup attachée à lui ..
     S.L : J'ai envie de dire que ça devrait être la moindre des choses pour un analyste alors que de fait malheureusement ça ne l'est pas. Sans doute est-ce un des points forts qui font que Lacan restera dans l'histoire, parce que sa position vis à vis des femmes pour le coup n'est pas exactement la même que celle de Freud. Il y a sur cette question un apport lacanien. 
     M.C : Il a exploré le continent blanc ..
     S.L : Oui, ou noir .. Mais il me semble que demeurait, dans son style, quelque chose qui datait un peu, qui n'était pas aussi moderne que lui, quelque chose d'un petit peu traditionnel, disons. 
     M.C : Il avait envie d'en rester là sans doute ?
     S.L : Peut-être. Ce n'est pas un reproche, c'est que c'est peut-être sur ce plan là qu'il a pu s'attirer la critique .. Disons que grosso modo du coté du mouvement des femmes il restait, et cela faisait partie de son charme, un peu désuet.
     A.D.W : Et pourtant quel homme moderne !
     S.L : Oui.
     AD.W: Peut-on même dire qu'il a suscité le mouvement des femmes ?
     S.L : Alors là pour le coup : oui !
     A.D.W : Comment rendre compte alors du fait que ce mouvement, né d'une certaine façon de son enseignement, s'est senti persécuté par ce qu'il disait ?
     S.L : Ce serait une question de théorie un peu difficile à développer là, mais je crois que tout achoppe quand même sur la question du primat du phallus et tous les malentendus qui prolifèrent à partir de là.
     M.C : La question n'est pas résolue ?
     S.L : Non.
     A.D.W : Une toute autre question : les gens de ma génération ont été habitués à entendre de sa part une critique radicale de l'IPA, et nous n'avons toujours pas su interpréter la raison pour laquelle, a contrario, il a tellement souhaité pendant tant d'années, y être affilié ?
     S.L : De même que l'ancien élève du collège Stanislas a eu à coeur de rencontrer à Rome le pape, pour le convaincre de l'intérêt crucial de son enseignement pour l'avenir de l'Eglise, de même Lacan, depuis le début de sa carrière analytique, a eu à coeur de faire entendre aux papes en place dans le milieu analytique la fécondité de son apport. Il est toujours resté au fond très attaché au mouvement analytique, et une de ses grandes douleurs a été quand même, si l'on peut dire, le désintérêt et la trahison de Lowenstein, son analyste, qui aurait dû, et depuis longtemps sans doute, l'entendre. J'ai été témoin en 1963 à Stokholm de cette scène où Lacan courrait après Lowenstein, pour essayer désespérément de lui dire : mais il faut quand même que je vous explique, pour que vous compreniez que c'est vital pour vous.
     D'ailleurs pour en revenir, avant de terminer, à la question que tu posais au début sur notre génération des années cinquante, on a senti qu'il y avait quelque chose de vital pour nous dans la voie où nous nous étions engagés. Quelque chose de vital tout court, avec cet être d'exception.
     M.C : Génial ? Le mot ne vous convient pas ?
     S.L : "Génial" me paraît un peu réducteur, si on pense à l'extrême singularité de cet homme qui était fantastiquement vivant.
     A.D.W : Ce qui est d'exception, n'est-ce pas d'avoir su nous rendre transmissible le sujet de l'inconscient en le laissant persévérer ?
     S.L : ça peut se dire comme ça.

                                                      Entretien, Alain-Didier Weil, Madeleine Chapsal, Serge Leclaire, 1993.


* si "tant et tant" suit "temps et temps", ce n'est absolument pas dû au hasard.
 * "manger" non plus, pas plus que "soupière" ou "gargoulette" ..    

                                                          ____________________


        Beaucoup d'autres ont parlé de Jacques Lacan, de diverses manières. Je viens de (re)lire un commentaire de Patrick Valas qui nous énumère diverses manières de "rapporter". Comme souvent rien à enlever et rien à rajouter à cette connaissance et à ce style qui sont de purs délices.

                                   C'est le premier lien hyper-texte que je mets sur le blog. 
                        A tout seigneur tout honneur. Sachant que tout est relatif, quand même.

                             http://www.valas.fr/Qui-a-peur-de-Jacques-Alain-Miller,089


                                                           _____________________

http://youtu.be/uF26cytWZmk

http://youtu.be/FCFcvhClmk0





























lundi 9 janvier 2012

6 ème séance : En ce moment ? rien.

                                                       


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                          " .. voilà où nous sommes arrivés .. dans mon essai de me propulser, 
                                 pas à pas, dans quelque chose de difficilement communicable, 
                                 et qui connaît des trébuchements, je m'en excuse .." 


                                                                               (Jacques Lacan, Les formations de l'inconscient, leçon VI).
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samedi 7 janvier 2012

5 ème séance : Le lapsus de Rachida.







En ce moment je travaille .. Stop !
Comme on emploie ce terme "travailler"  à tort et à travers, je me paye un petit aparté avec "Lexilogos".
enêtre dans une fenêtre, grâce au grand Autre là, Mr Google d'Internet,
pour savoir ce que je fais exactement au texte de Lacan quand je dis que je le travaille.
Alors voilà : je le triture, je le torture,  je le tracasse,  je le tourmente ..
Et tout le plaisir est pour moi.

Le texte en question c'est le Séminaire de Jacques Lacan  Les formations de l'inconscient,
dans sa version écrite "millériannisée" (voir le Lexique à la rubrique "JAM"). Ma lecture
très appliquée m'a conduite jusqu'à la leçon 6, où Lacan poursuit l'analyse du trait d'esprit.

Entre le moment où je l'ai lu pour la 1re fois il y a déjà quelques années, et aujourd'hui,
l'avènement de Rachida Dati a eu lieu.
Et il se trouve que parmi tous les exemples de traits d'esprit livrés par Lacan,
tous ceux pris chez Freud ou ailleurs, tous ceux rescapés de mon panthéon personnel,
ce qu'on a appelé "le lapsus-de-Rachida-Dati" s'interpose presqu'à chaque page.
Ce mot, qui lui vint à l'esprit -au psychisme- pour éclore dans son discours, ce mot dont le monde,
dans sa très grande ignorance, se gausse avec un plaisir aigu,
se rappelle à moi au fur et à mesure que j'avance dans la lecture de ces premières leçons.

L'histoire en son temps m'avait interpellée (je gage que ce fut le cas pour tous les freudiens),
et les réactions devant cet accident du langage m'avaient bien énervée,
en tant qu'exemple parfait de la précipitation générale dans le piège de l'imaginaire,
surtout dès qu'il s'agit de la sexualité !
Comment expliquer le maniement des signifiants par l'inconscient structuré comme un langage
quand une telle image (le maniement de la langue dans une fellation) aveugle chacun ?

Or il se trouve que depuis cette affaire, d'une part Rachida a encore parlé,
apportant, la pauvre, de l'eau au moulin des rieurs, trop contents de "féminiser" une femme ..
Ca rigole moins du coté des femmes : elles perçoivent que ça doit être un peu plus compliqué.
Elles ont raison. Les arrangements de mots, ça dit tellement de choses !
D'autre part je travaille ce séminaire sur les formations de l'inconscient où,
comme je l'ai dit plus haut, je trouve matière à mieux comprendre ce qui est arrivé à Rachida :

En réalité ce qui est venu dans son discours ce n'est pas un vilain mot,
ce n'est pas le mot "fellation", mais "fell---ation" : une condensation de plusieurs sons,
sons empruntés en partie à la langue française, parlée en public, avec la journaliste,
et en partie à la langue arabe, la langue qui structure son inconscient, à elle.
Inconscient que personne ne connaît.


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En fait l'objet du message du jour était autre : mon intention était de rapporter ici quelques mots
du séminaire : Lacan y évoque son enseignement oral, et dans ce qu'il dit quelque chose correspond
au fonctionnement de ce blog, qui dépend de la forme choisie par moi au départ :
non pas un savoir distribué "du haut de la chaire", mais une transmission plus vivante,
avec comme fil conducteur, les mots qui tracent.

Le message s'étant allongé plus que prévu, la phrase de Lacan sera l'en-tête du message suivant.
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